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Pho­to © Doug Whel­ler

J’ai déjà ten­té à plu­sieurs reprises de vous décrire l’expressivité excep­tion­nelle de sa phy­sio­no­mie et de tous ses gestes ; mais celui-là, je ne puis le dépeindre, car c’était une béa­ti­tude si exta­tique et si sur­na­tu­relle qu’on n’en voit presque jamais de pareille dans une figure humaine ; elle n’était com­pa­rable qu’à cette ombre blanche qu’on croit aper­ce­voir au sor­tir d’un rêve lorsqu’on s’imagine avoir devant soi la face d’un ange qui disparait.
Pour­quoi le dis­si­mu­ler ? Je ne résis­tai pas à ce regard. La gra­ti­tude rend heu­reux parce qu’on en fait si rare­ment l’expérience tan­gible ; la déli­ca­tesse fait du bien, et, pour moi, per­sonne froide et mesu­rée, une telle exal­ta­tion était quelque chose de nou­veau, de bien­fai­sant et de déli­cieux. Et tout comme cette homme ébran­lé et bri­sé, le pay­sage aus­si, après la pluie de la veille, s’était magi­que­ment épanoui.

Ste­fan Zweig, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme
1927, Leip­zig
(titre ori­gi­nal : Vie­rundz­wan­zig Stun­den aus dem Leben einer Frau, in Ver­wir­rung der Gefühle. Drei Novel­len)

Ste­fan Zweig, au terme d’une vie mon­daine mar­quée par l’errance, met­tra fin à ses jours à Petro­po­lis, Bré­sil, le 22 février 1942, écœu­ré et ren­du inca­pable de vivre du fait de l’étreinte de son pays et sa culture par le nazisme. Il lais­se­ra une lettre qui se ter­mine avec ces mots :

« Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impa­tient, je pars avant eux. »

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