Avant que la nuit ne tombe, avant que les portes ne se referment, avant que l’on ne se sente obliÂgĂ© de tirer le rideau mĂ©talÂlique et de faire un peu le mĂ©nage parÂmi ce qui a Ă©tĂ© et ne sera plus, je rasÂsemble mes affaires. VoiÂci quelques petites bribes Ă©crites entre le 18 janÂvier et le 7 mars 2015, resÂtĂ©es cachĂ©es dans un recoin de l’esÂpace. Pour paraÂphraÂser HĂ©raÂclite et HeiÂdegÂger, bien que cela n’ait vraiÂment rien Ă voir avec leur Ĺ“uvre, il vaut mieux que ça se trouve ici pluÂtĂ´t que nulle part. Je ne repuÂblie pas tout car tout n’est pas forÂcĂ©Âment l’obÂjet d’une cerÂtaine fiertĂ©.
JourÂnal du senÂsible (18 janÂvier 2015)
Le senÂsible est au-delĂ des dieux auxÂquels je ne crois plus depuis longÂtemps. Je n’arrĂŞte pas de dire que pluÂtĂ´t que de suivre les reliÂgions, les Hommes devraient tenÂter de les comÂprendre. Croire est telÂleÂment plus simple et beauÂcoup moins engaÂgeant que de comÂprendre que la tenÂtaÂtion simÂpliste est de verÂser dans la croyance sans quesÂtionÂneÂment. La foi aveugle a dĂ©truit (eux disent « sauÂvĂ© ») tout ceux qui se sont sacriÂfiĂ©s au nom d’un Dieu qui, s’il existe, se contreÂfiche qu’on parle en son nom.
J’arrĂŞte mon regard sur les petits livres que j’ai terÂmiÂnĂ©s ces derÂniers temps et je contemple avec une cerÂtaine joie le tout derÂnier que j’ai lu de Joseph KesÂsel. Disons pluÂtĂ´t que je contiÂnue de le lire, je contiÂnue une Ĺ“uvre puisÂsante qui me rapÂproche de plus en plus de mes rĂŞves et de mes envies. Ce sont des auteurs aux mains caleuses, au visage buriÂnĂ© par l’âge et le vent de la mer, aux rĂŞves hauts perÂchĂ©s, aux âmes desÂsiÂnĂ©s par les horÂreurs de la guerre et du sang qui a coulĂ©.
La grande lumière fixe, Ă©terÂnelle, oĂą tourÂnoient les vauÂtours, les espaces oĂą l’on sent Dieu — non pas un dieu Ă©triÂquĂ© des reliÂgions mais le Dieu des terres et des mers et des plantes et des pierres —, le galop des cheÂvaux sauÂvages, la belle dĂ©marche des ĂŞtres priÂmiÂtifs — tout cela qui a nourÂri mes yeux innoÂcents et que je n’oublie que trop — je le retrouve dès que le ciel devient plus haut, plus sec, plus dur, que les hommes prennent un regard de bĂŞtes aux songes proÂfonds et que la vie souÂdain plus vaste et plus calme resÂpire comme une douce poiÂtrine impitoyable.
Joseph KesÂsel, En Syrie
GalÂliÂmard, sucÂcesÂsion KesÂsel © 2014
PhoÂto d’en-tĂŞte : Dans une rue d’Alep, avril 2013 (MUSÂTAÂFA ALI/SIPA)
Une volupÂtĂ© de damÂnĂ©s (19 janÂvier 2015)
J’aime le doux silence des heures sombres, simÂpleÂment Ă©claiÂrĂ© par la lumière torve d’une bouÂgie, dans les odeurs de cuiÂsine d’hiver, la soupe qui cuit au coin du feu, le poiÂreau prĂ©ÂdoÂmiÂnant et masÂquant tout, mĂŞme le poivre noir verÂsĂ© Ă grandes rasades… Il y a de la beauÂtĂ© dans les odieuses senÂteurs qui se chamaillent.
Une image me trouble en renÂtrant du traÂvail ; une maiÂson en meuÂlière sur le bord de la route, une marÂquise qui s’éclaire Ă mon pasÂsage, une mosaĂŻque verte et bleue totaÂleÂment inconÂgrue mais d’une senÂsuaÂliÂtĂ© venue d’ailleurs. Un moment de flotÂteÂment, le batÂteÂment d’aile d’un papillon… Et j’y suis, l’Hippodrome d’Istanbul, At MeyÂdanı, les faĂŻences qui ornent le bâtiÂment de l’administration du registre fonÂcier et du cadastre.
Je voyage mĂŞme quand je rentre du travail.
PhoÂto © Romuald
Nous remonÂtâmes vers le dĂ©dale supĂ©Ârieur. DerÂrière un rideau, couÂleur de greÂnade, un bouÂlanÂger Ă©taÂlait de petits pains arabes, tout chauds. Un cyprès, comme un jet d’eau sombre s’élançait d’une cour vers le grand ciel d’Orient. Par la fenĂŞtre ouverte d’une maiÂson sous laquelle, dans la gĂ©henne des niches se donÂnait cours une volupÂtĂ© de damÂnĂ©s, on entenÂdait un enfant se plaindre et une voix de femme le calÂmer par des paroles confuses.
Joseph KesÂsel, En Syrie
GalÂliÂmard, sucÂcesÂsion KesÂsel © 2014
PhoÂto d’en-tĂŞte © ArchÂnet
Rue de BabyÂlone (21 janÂvier 2015)
On ne devrait pas sorÂtir quand il fait froid. Plus ça va, plus je me rataÂtine Ă l’intĂ©rieur de moi-mĂŞme quand le froid m’envahit. Je ne sais plus comÂment on fait. Peut-ĂŞtre l’âge, peut-ĂŞtre le fait d’avoir goĂ»ÂtĂ© aux chaÂleurs Ă©quaÂtoÂriales, lĂ oĂą les saiÂsons ne sont qu’humides ou chaudes, parÂfois les deux pour un peu de fanÂtaiÂsie, rien de bien grave.
Rue de BabyÂlone, le vent s’engouffre et me fait pleuÂrer de stuÂpeur ; je suis comme encapÂsuÂlĂ© Ă l’intĂ©rieur de moi-mĂŞme. Pas loin de zĂ©ro degrĂ©. Ou du degrĂ© zĂ©ro de l’imagination.
Grandes bâtisses, un minisÂtère, rĂ©forme de l’état ou quelque chose comme ça.
Juste en face du JarÂdin CatheÂrine-LabouÂrĂ©, vide, imperÂsonÂnel, sans charme et sans arbres.
Une enfiÂlade de bâtiÂment aux carÂreaux de cĂ©raÂmiques verÂnies qui me fait penÂser aux cours de BudaÂpest, dans ces immenses rues intĂ©Ârieures du quarÂtier juif. Une ancienne caserne qui pourÂrait tout ausÂsi bien ĂŞtre une citĂ©-jarÂdin. C’est la caserne BabyÂlone, avec son continÂgent de la garde rĂ©puÂbliÂcaine, c’est Ă©crit en gros sur le frontispice.
Un bâtiÂment haussÂmanÂnien, encore un, qui abriÂtait l’appartement d’Yves Saint-Laurent qu’il a occuÂpĂ© jusqu’à sa mort.
Et puis l’ennui.
Et puis le froid et les couÂrants d’air.
Et puis moi un peu dĂ©saÂbuÂsĂ©, un peu amuÂsĂ©. TouÂjours le regard alerte et la mine rigoÂlarde. Un peu gogueÂnard, je m’amuse de mes bĂŞtises solitaires.
Et puis le cheÂmin en sens inverse. Un cafĂ© qui s’appelle CouÂtume, dans lequel j’aurais pu m’arrĂŞter goĂ»Âter un de ses cafĂ©s fins.
Un resÂto qui s’appelle MarÂcel, murs gris barÂdĂ©s de miroirs, ampoules nues qui desÂcendent du plaÂfond, dĂ©coÂraÂtion miniÂmaÂliste. Il me tente bien, MarÂcel, mais je suis tranÂsi de froid, je ne veux plus que regaÂgner ma voiture.
Devant le cinĂ©Âma La Pagode, deux adoÂlesÂcents se bĂ©cotent comme ne se bĂ©cotent plus les adultes, avec une pasÂsion neuve et bouÂleÂverÂsante, avec une douÂceur d’enfant.
Je suis bien loin du dĂ©sert et je cherche le guerÂrier aux traits si fins…
Celui-lĂ Ă©tait d’une beauÂtĂ© saiÂsisÂsante. Toute une race noble et prompte que n’ont jamais souillĂ©e ni le contact des villes, ni les traÂvaux sĂ©denÂtaires, qui s’est nourÂrie depuis des siècles d’espace et de ciel, avait dĂ©lĂ©ÂguĂ© le meilleur d’elle-mĂŞme dans la perÂsonne de Dhâm, chef de comÂbat des guerÂriers chamÂmars. La finesse de ses traits et de ses attaches Ă©tait telle qu’on la voit aux princes d’Orient sur les miniaÂtures. Ses mains parÂfaites repoÂsaient sur ses genoux, sans un tresÂsailleÂment. L’immobilitĂ© du visage en accuÂsait la pureÂtĂ© acĂ©ÂrĂ©e : un front lisse couÂronÂnĂ© de l’« agal » aux tresses noires ; un nez busÂquĂ© et d’un desÂsin dĂ©liÂcat, une bouche rouge, mince qui souÂriait altièÂreÂment ; et des yeux magniÂfiques, taches d’onyx brĂ»Âlant, cerÂnĂ©s d’une ligne bleue par le khĂ´l.
Joseph KesÂsel, En Syrie
GalÂliÂmard, sucÂcesÂsion KesÂsel © 2014
PhoÂto © YSL
Le pli de la nuit (24 janÂvier 2015)
La nuit se tait avec comÂplaiÂsance, elle ronÂronne terÂriÂbleÂment dans son intĂ©Ârieur et ne dit rien de son intimitĂ©.
Il est presque trois heures et j’ai dorÂmi un peu sur le canaÂpĂ©, avaÂchi devant la tĂ©lĂ©, ne sachant pas rĂ©elÂleÂment ce qu’il s’est pasÂsĂ© ses derÂnières heures ; mais tout me va, je ne suis pas difÂfiÂcile, je me satisÂfais de peu, de plus en plus. De mes rupÂtures et de mes petits foyers d’infection, je me suis fait une raiÂson et je n’ose Ă prĂ©Âsent plus exploÂrer le monde qu’en me disant que le hasard et la richesse du monde sont larÂgeÂment sufÂfiÂsant pour me satisfaire.
Je n’ai bu qu’un verre de vin, un bon CheÂvaÂlier de LasÂcombes, MarÂgaux 2011, mais la fatigue aidant, je me suis endorÂmi. Ce n’est pas bien grave, je ne suis redeÂvable de rien Ă ce proÂpos. Une fois couÂchĂ©, le somÂmeil n’a pas daiÂgnĂ© s’emparer de moi. Je m’y suis fait. On se fait bien Ă tout, finaÂleÂment. Il sufÂfit de ne pas sysÂtĂ©ÂmaÂtiÂqueÂment entrer en rĂ©sistance.
Alors je retourne sur le canaÂpĂ©, l’envie de dorÂmir cachĂ©e, bien cachĂ©e, assis desÂsus, et j’entre dans CheÂmin faiÂsant, connaĂ®tre la Chine, relanÂcer la phiÂloÂsoÂphie, de FranÂçois JulÂlien, et je me satisÂfais Ă©gaÂleÂment parÂfaiÂteÂment de ces mots de Michel Foucault :
Il y a les criÂtiques auxÂquelles on rĂ©pond, et celles auxÂquelles on rĂ©plique. A tort, peut-ĂŞtre. PourÂquoi ne pas prĂŞÂter une oreille uniÂforÂmĂ©Âment attenÂtive Ă l’incomprĂ©hension, Ă la banaÂliÂtĂ©, Ă l’ignorance ou Ă la mauÂvaise foi ?
Michel FouÂcault, Dits et Ă©crits I
Gallimard
SimÂpleÂment contiÂnuer Ă vivre (25 janÂvier 2015)
Cette annĂ©e comÂmenÂçait bien. Je ne dis pas que je n’étais pas stresÂsĂ© car au sorÂtir de ces fĂŞtes de fin d’annĂ©e, j’étais un peu fatiÂguĂ©. SimÂpleÂment, il me resÂtait une Ă©tape Ă franÂchir ; souÂteÂnir ma note d’investigation pour ce masÂter recherche dans lequel je m’étais invesÂti depuis un an. Peut-ĂŞtre le 12 janÂvier, la date n’était pas vraiÂment fixĂ©e. Et puis avant NoĂ«l, Jean-Jacques me dit que ce sera le 7 janÂvier. Le 7 janÂvier !!! Une date dont il fauÂdra que je me souvienne.
Ah ça oui, je vais m’en souÂveÂnir. Je pars d’Argenteuil sur les coups de midi, je reçois un texÂto qui me dit de regarÂder les news sur interÂnet, mais je suis au volant, je ne fais pas attenÂtion. Je roule vers CerÂgy et le proÂgramme de France Inter s’interrompt pour un flash spĂ©Âcial. Un attenÂtat Ă CharÂlie HebÂdo, une fusillade, il y a des morts, on n’en sait pas plus. A CerÂgy, j’embrasse mes colÂlègues, je rasÂsemble mes affaires, passe le bonÂjour Ă mes anciens staÂgiaires ; ils ne savent rien pour l’instant. Et puis LauÂrie m’annonce que c’est cerÂtain, Charb, Cabu et WolinsÂki sont morts. Samy se prend la tĂŞte dans les mains, LauÂrie est blĂŞme. J’ai envie de vomir, violemment.
Je pars pour Paris XVIIIè et sur la route j’écoute France-Info qui prĂ©Âcise de plus en plus la situaÂtion. Je suis au bord des larmes, je ne comÂprends pas vraiÂment ce qui se passe. 15h20, j’arrive rue CusÂtine et je me gare. Je n’ai pas eu le temps de manÂger et c’est seuleÂment lĂ , 10 minutes avant de souÂteÂnir que je m’en rends compte. Tant pis, je n’ai pas vraiÂment faim. Je pense Ă Cabu, aux bouÂquins que mon père avait sur ses Ă©taÂgères, le grand Duduche et son irrĂ©ÂvĂ©Ârence un peu potache, et surÂtout, je pense Ă lui quand il desÂsiÂnait dans RĂ©crĂ© A2 Ă cĂ´tĂ© de DoroÂthĂ©e. Ça, je peux dire que c’est vraiÂment mon enfance. Juste avant de desÂcendre de voiÂture, j’entends que BerÂnard Maris est mort lui ausÂsi. Quelle est cette folie ? Quel est le nom de cette folie ?
J’entre chez ChrisÂtine, accueilli par Jean-Claude. J’adore Jean-Claude. Il est la douÂceur, touÂjours content de me voir. Jean-Jacques est lĂ , il me serre la main, je dis bonÂjour Ă©gaÂleÂment Ă Marianne que je ne connais pas encore. Et je m’installe, nous comÂmenÂçons. C’est une souÂteÂnance et dehors c’est le chaos… Nous sommes tous abaÂsourÂdis mais il faut y aller, c’est aujourd’hui le grand jour. Le sujet de Marianne concerne la crĂ©aÂtion d’une coopĂ©ÂraÂtive citoyenne sur MorÂlaix. Je l’écoute de loin, mais je ne suis pas vraiÂment lĂ , mes yeux sont lourds de larmes qui s’échappent lentement.
Les membres du jury s’expriment sur son compte, puis vient mon tour. L’annĂ©e derÂnière, j’avais terÂmiÂnĂ© mon masÂter pro en parÂlant des poliÂtiques sociales et des insÂtiÂtuÂtions comme celles dans laquelle je traÂvaille ; mon proÂpos Ă©tait de dire que leur propre Ă©tait de crĂ©er des « contextes amouÂreux » au sens oĂą l’entend Alain Badiou, dans lesÂquels on devait tendre vers la subÂstiÂtuÂtion de l’invisibilitĂ© (Axel HonÂneth) du public Ă sa visiÂbiÂliÂtĂ© en tant que perÂsonne, neuÂtraÂliÂser le mĂ©pris dont il est vicÂtime dans une sociĂ©ÂtĂ© aux indiÂviÂduaÂlismes exacerbĂ©s.
Cette annĂ©e en masÂter recherche, j’ai un peu plus la bride sur le cou. Mon sujet explore la socioÂloÂgie, la phiÂloÂsoÂphie, occiÂdenÂtale et chiÂnoise, mais ausÂsi, on ne se refait pas, le rĂ©cit de voyage. Si mon sujet a du mal Ă se desÂsiÂner, j’y parle de la condiÂtion d’étranger reviÂtaÂliÂsĂ©e grâce Ă une penÂsĂ©e de l’écart telle que la strucÂture FranÂçois JulÂlien dans ses Ă©crits (L’Écart et l’Entre, Les transÂforÂmaÂtions silenÂcieuses), j’y parle de l’hospitalitĂ© inconÂdiÂtionÂnĂ©e et du don de soi dans les relaÂtions d’échanges qui se vivent au traÂvers des parÂcours d’intĂ©gration socio-proÂfesÂsionÂnelle, j’y parle de la capaÂciÂtĂ© de construcÂtion de soi des perÂsonnes au traÂvers des rĂ©cits de voyage, s’inscrivant dans la dĂ©consÂtrucÂtion de soi, dans cet entreÂlacs subÂtil que deviennent les rĂ©cits de vie. J’ai eu du mal Ă Ă©crire vingt pages au dĂ©but, et je me suis retrouÂvĂ© avec une petite quaÂranÂtaine de pages que je n’arrivais plus Ă rĂ©duire. J’ai Ă©crit comme un forÂceÂnĂ© pour en accouÂcher, touÂjours motiÂvĂ© par mon expĂ©Ârience proÂfesÂsionÂnelle et perÂsonÂnelle. Ce dont je me rends compte, c’est que ce n’est qu’un seul sujet : l’accueil de l’autre, l’accueil de l’autre en soi.
Et les tirs de KalachÂniÂkov rĂ©sonnent encore en moi dans cette salle de rĂ©dacÂtion, dans la rue, le claÂqueÂment des balles emplit mon esprit et me trouble. ComÂment on peut faire ça au nom d’un dieu qui se contreÂfiche qu’on parle en son nom ? Quel dieu marÂtial pourÂrait vouÂloir la mort des autres ? CerÂtaiÂneÂment pas le dieu du Coran qui n’est qu’amour et resÂpect de son proÂchain. Les humains font de erreurs.
Je terÂmine la lecÂture de mon texte comme dans un souÂpir, je n’ai plus de voix, je me rends compte que je suis plein d’émotions, plein de chaos Ă l’intĂ©rieur. Je suis tout autant dĂ©consÂtruit que les perÂsonÂnages dont il est quesÂtion dans mon mĂ©moire. Et le jury m’interroge sur Tobie Nathan dont j’invoque l’étranger. Je ne sais plus ce que j’ai Ă©crit, ça fait un mois que je ne peux plus lire ce que j’ai Ă©crit. Ce texte m’angoisse car il touche Ă des choses telÂleÂment perÂsonÂnelles. Je ne sais mĂŞme plus quelle disÂtance j’ai mis dans tout ça. Je ne sais plus ce que j’ai dit, ma voix s’éteint, ma gorge se noue, j’ai envie de pleuÂrer, mais c’est ma souÂteÂnance, borÂdel !! Je ne peux pas sorÂtir d’ici en n’ayant pas dĂ©fenÂdu mon texte ! Les quesÂtions et les avis fusent, Jean-Jacques parle de choses que je n’arrive pas Ă fixer. Jean-Claude dit oui bien sĂ»r c’est ça, c’est ton voyage Ă toi, tu nous emmènes avec toi dans une Ă©criÂture qui ne fait pas touÂjours les liens, mais moi je les fais les liens ! ChrisÂtine Ă son tour dit très belle Ă©criÂture, tu m’as vraiÂment emmeÂnĂ© avec toi, et quand tu parles des rĂ©cits de la dĂ©consÂtrucÂtion, c’est exacÂteÂment ça, je suis d’accord avec toi tout le temps, oui oui oui !!
Je crois que j’ai rĂ©usÂsi. Dehors c’est la haine et ici c’est la vicÂtoire de l’amour des autres. Marianne et moi sorÂtons quelques insÂtants Ă la demande de Jean-Claude. DĂ©liÂbĂ©ÂraÂtion. Je sais qu’ils ne dĂ©liÂbèrent pas, tout est dĂ©jĂ fait. C’est pliĂ©. Depuis longÂtemps. Nous parÂlons de nos expĂ©Âriences d’écriture pour ne pas parÂler du reste, mais je suis Ă fleur de peau, j’ai toute mon Ă©moÂtion entre ma gorge et mes yeux.
Quand nous remonÂtons, la table en bois compte 5 assiettes, des verres, une bouÂteille de CrĂ©Âmant WolfÂberÂger (très bon goĂ»t pariÂsien, je trouve) et une galette. Je crois que je n’aurais plus jamais l’occasion de vivre une souÂteÂnance dans ces condiÂtions. Jean-Jacques nous demande de nous lever. ChrisÂtine, elle, reste assise avec sa patte en vrac. Le jury a dĂ©liÂbĂ©ÂrĂ©. Il met les formes, il y tient. Moi ausÂsi. Et il a dĂ©ciÂdĂ©, Ă l’unanimitĂ©, de vous attriÂbuer, Ă tous les deux, la note de 17, ce qui Ă©quiÂvaut Ă une menÂtion très bien. FĂ©liÂciÂtaÂtions Ă tous les deux. Je n’y crois pas ! J’ai encore rĂ©usÂsi ! J’ai envie de pleuÂrer, je me sens Ă la fois Ă©teint Ă©moÂtionÂnelÂleÂment et heuÂreux comme un gamin qui ouvre ses cadeaux de NoĂ«l et je pense aux morts qui Ă©taient encore en vie hier, je pense Ă mon grand-père qui aurait telÂleÂment Ă©tĂ© fier de son petit-fils, je pense Ă ma grand-mère qui ne doute pas du tout de moi et qui sait dĂ©jĂ tout ça, elle n’a jamais douÂtĂ© de moi.
Nous nous disons au revoir après avoir manÂgĂ© ensemble une dĂ©liÂcieuse galette. Il faut que je reparte chez moi, il est temps. A peine assis dans ma voiÂture, c’est plus fort que moi, je m’effondre, je pleure vioÂlemÂment penÂdant des minutes qui s’étirent jusqu’à ne plus savoir ce que je fais lĂ , j’ai ouvert les vannes ; je ne peux plus m’arrĂŞter. Ce sont des larmes qui sont Ă la fois des larmes de joie, d’émotion, de trisÂtesse, de mort, ce sont les larmes d’un homme qui a vĂ©cu trop de choses en trop peu de temps et qui dĂ©borde de tout ce qu’il a de bon en lui et qu’il aimeÂrait pouÂvoir parÂtaÂger avec le monde entier.
Dans les preÂmiers insÂtants, on se demande comÂment on va faire après. Les choses ne changent pas vraiÂment. Le masÂter, oui, il est derÂrière, c’est terÂmiÂnĂ©. Il faut penÂser Ă l’après, sinon on meurt. Et puis il y a CharÂlie. Il faut ausÂsi penÂser Ă l’après, parce que lĂ ausÂsi, sinon, on meurt. Il faut penÂser Ă comÂment on va vivre avec les autres. Vivre avec les autres, ça, je sais faire, c’est mĂŞme mon mĂ©tier, c’est ce que je fais tous les jours et que j’apprends aux jeunes Ă faire, pour qu’au bout du compte, perÂsonne sur terre ne se comÂporte comme des assasÂsins et qu’on puisse vivre ensemble sans se dĂ©tester.
PhoÂto © FranÂçois Lartigue
Chez MarÂcel (1er fĂ©vrier 2015)
De temps en temps, j’aime bien aller chez MarÂcel. MarÂcel — pourÂquoi ce prĂ©Ânom que je dĂ©teste tant ? — c’est une Ă©piÂceÂrie fatras capharÂnaĂĽm. Il y fait tout le temps froid, mais on y trouve lĂ tout ce qu’il faut pour cuiÂsiÂner des recettes de tous les pays. C’est le seul endroit que je connaisse dans la rĂ©gion oĂą l’on trouve ausÂsi bien des fruits exoÂtiques, des nouilles dĂ©shyÂdraÂtĂ©es, des ravioÂlis surÂgeÂlĂ©s, des sodas antillais, du bouillon de creÂvettes fumĂ©es, de la sauce satay, des groins de porc en sauÂmure venÂdus en seaux, des bouÂgies pour Sainte Rita et des pasÂtiches pour cheÂveux afriÂcains. C’est un lieu hĂ©tĂ©ÂroÂclite, surÂpreÂnant, tenu par des ChiÂnois mal aimables, oĂą surÂtout l’on sent cette odeur si parÂtiÂcuÂlière qu’on retrouve dans toutes les Ă©piÂceÂries d’Asie oĂą j’ai traĂ®ÂnĂ© mes guĂŞtres, en ThaĂŻÂlande ou en IndoÂnĂ©Âsie. Quelque chose comme une odeur de mangue pourÂrie, ou de durian, une odeur de putrĂ©ÂfacÂtion de fruit assez prĂ©Âgnante mais pas fonÂcièÂreÂment dĂ©saÂgrĂ©able. C’est une odeur qui rapÂpelle la chaÂleur, l’ambiance troÂpiÂcale des jours moites, les expĂ©Âriences malÂheuÂreuses des choses qu’on aurait mieux fait de ne pas manger.
Je suis resÂsorÂti de lĂ avec tout un tas de choses que je n’aurais peut-ĂŞtre pas trouÂvĂ©es ailleurs. De la citronÂnelle en branches, des rhiÂzomes de galanÂgal, des chamÂpiÂgnons de paille entiers, de la sauce satay pour les broÂchettes de pouÂlet (ah le marÂchĂ© du dimanche de Chiang Mai !), du lait de coco, tout ce qu’il faut pour faire un Tom Yum ou un Tom Kha Kai.
Allez chez MarÂcel, c’est dĂ©jĂ marÂcher dans ses propres pas Ă la renÂcontre de ses voyages culinaires.
En sorÂtant de lĂ , je tombe sur une dizaine de types en cosÂtard et lunettes de soleil (il fait 3°C les mecs !!), l’un d’eux dit aux autres : « on va Ă IstanÂbul ? ». Je fronce les sourÂcils… Ce n’est que le nom du kebab qui se trouve juste Ă cĂ´té…
Dans la brume, dans le froid… (7 février 2015)
Ces derÂniers jours sont des jours durs parce qu’il y fait froid. Le vent s’agite dans un ciel de crisÂtal, faiÂsant danÂser les colonnes de fumĂ©e des cheÂmiÂnĂ©es sur l’horizon, laisÂsant croire Ă des paqueÂbots en parÂtance sur une mer d’huile. Il fait un ciel d’oranges et de roses bleuÂtĂ©s qui disent que la jourÂnĂ©e sera froide et les autres encore après elle… C’est un vrai hiver. Avec de la neige qui est tomÂbĂ©e, mais le sol pas sufÂfiÂsamÂment gelĂ© a tout absorÂbĂ©. On ne pourÂra pas dire qu’on n’a pas eu d’hiver cette annĂ©e. Oh bien sĂ»r, ça n’a rien Ă voir avec un hiver de monÂtagne ou un hiver de pays scanÂdiÂnave, mais ça reste un bon hiver que dĂ©jĂ je comÂmence Ă trouÂver long.
Je me remets Ă rĂŞver d’atmosphères cliÂmaÂtiÂsĂ©es, les immenses staÂtues de plâtre coloÂrĂ© qui ornent l’intĂ©rieur de l’aĂ©roport SuvarÂnabhuÂmi de BangÂkok, avec son atmoÂsphère lente et sur-refroiÂdie. Sur les allĂ©es qui perÂmettent aux taxis d’emporter leurs clients, des hommes fument dans la lumière jaune et moite du matin. L’aĂ©roport est en plein milieu des marĂ©Âcages. Et ces odeurs d’humiditĂ©, de pourÂriÂture… tout ici resÂpire le comÂpasÂsĂ©, mais c’est une impresÂsion incomÂpaÂrable, rien de ce qu’on connaĂ®t ici.
Je repense ausÂsi Ă cet Ă©tĂ© en TurÂquie que je suis en train de tenÂter de finir de raconÂter, avec ses Ă©glises chrĂ©Âtiennes perÂdues dans des valÂlĂ©es de pierre blanche, un patriÂmoine qui se dĂ©tache de la paroi, qu’on ne verÂra peut-ĂŞtre plus pour longÂtemps, ses odeurs de nourÂriÂture salĂ©e, le thĂ© noir qui frĂ©Âmit sur le feu, et toutes ces maiÂsons petites, Ă©triÂquĂ©es, Ă©paisses, qui sentent elles-ausÂsi l’humidité… il neiÂgeÂra aujourd’hui Ă Göreme.
Et dire que tous les jours je passe devant cette basiÂlique froide et majesÂtueuse, perÂdue entre les immeubles rĂ©haÂbiÂliÂtĂ©s de ce vieux quarÂtier qui contient, ici comme Ă TrĂŞves, la tunique du Christ (une tunique du Christ, qui dit la vĂ©riÂtĂ©) ?, expoÂsĂ©e au public, dans laquelle je ne suis jamais entrĂ©.
Le jour s’est levĂ©, il est rose oranÂgĂ©, sobre, froid, comme tous les autres jours. Les jours de chaÂleur sont bien loin.
J’ai eu peur. J’ai redresÂsĂ© la tĂŞte, avec crainte, et j’ai regarÂdĂ© autour de moi : c’est touÂjours le mĂŞme uniÂvers, l’ancien et celui d’aujourd’hui ! Mais ma chambre et mes meubles sont plonÂgĂ©s dans le somÂmeil. J’ai transÂpiÂrĂ©. J’ai envie de voir quelqu’un Ă qui parÂler, de le touÂcher de la main.
Orhan Pamuk, La maiÂson du silence
GalÂliÂmard, 1983
Lieux de la tenÂdresse (8 fĂ©vrier 2015)
Je refais le cheÂmin, sans cesse, sur les lieux de mon enfance, Ă parÂtir de bribes de souÂveÂnirs, je parÂcours sans cesse, parÂfois sans vraiÂment le faire exprès ou consciemÂment les endroits dans lesÂquels j’allais ou par lesÂquels je pasÂsais avec mes grands-parents, touÂjours avec mes grands-parents.
Le Pecq, son rond-point oĂą je repasÂsais encore il y a quelques annĂ©es, avec sa fonÂtaine et son Ă©trange boule, son basÂsin que quelque petit malin trouÂvait parÂfois bon de sauÂpouÂdrer de lesÂsive ; la fonÂtaine faiÂsait alors des langues d’écume qui se disÂperÂsaient avec le vent et le gamin que j’étais se marÂrait comme une baleine. Saint-GerÂmain-en-Laye, le parc du châÂteau, le cafĂ© SouÂbise, le musĂ©e des antiÂquiÂtĂ©s natioÂnales, le rond-point près du châÂteau oĂą se trouvent encore des bâtiÂments de l’armĂ©e, oĂą rien n’a chanÂgĂ© depuis Louis XIV, et puis il y a ausÂsi cette longue route qui longe la Seine et remonte vers LouÂveÂciennes, passe par Port-MarÂly, MarÂly-le-Roi, l’Abreuvoir que je n’avais pas vu depuis des annĂ©es et qui resÂtait pour moi l’archĂ©type de cette Ă©poque.
ÉviÂdemÂment, je ne retourne pas Ă ces endroits de gaĂ®ÂtĂ© de cĹ“ur, c’est mĂŞme pour le coup assez triste, mais je prends tout ceci avec assez de froiÂdeur pour ne pas m’effondrer. Peut-ĂŞtre le devrais-je ? M’effondrer. Si j’ai le choix, je ne prĂ©Âfère pas.
Je regarde mes mains, mes mains d’homme qui a parÂcouÂru un peu de cheÂmin ; je ne suis plus l’enfant calme et taiÂseux qui regarÂdait par la fenĂŞtre de la voiÂture. InsÂtalÂlĂ© derÂrière ma grand-mère, je regarÂdais les mains ganÂtĂ©es de cuir de mon grand-père sur le volant de sa voiÂture que, plus tard, je conduiÂrais Ă mon tour.
PasÂser par les terres blanches oĂą le bus s’arrĂŞtait en pleine jourÂnĂ©e dans des quarÂtiers vides de toute vie, le jour oĂą j’avais pris un congĂ© pour accomÂpaÂgner mon grand-père Ă Paris pour qu’il passe des exaÂmens carÂdiaques, avant qu’il ne tombe graÂveÂment malade. Je suis resÂtĂ© Ă cĂ´tĂ© de lui, assis dans le bus. Je crois que nous n’avions jamais pasÂsĂ© autant de temps Ă parÂler de tout et de rien, cinÂquante annĂ©es nous sĂ©paÂrant… Il Ă©tait Ă fleur de peau comme il ne l’avait jamais Ă©tĂ©. DĂ©jĂ . Un moment de tenÂdresse pure comme il n’en exisÂteÂra peut-ĂŞtre plus jamais.
Tout me relie tout le temps Ă mes grands-parents, rien ne se passe sans qu’ils soient prĂ©Âsents auprès de moi. Et ma vie contiÂnue avec leur prĂ©Âsence dans les replis de mon ĂŞtre.
L’absence ne compte pas. Elle ne compte pour rien. Elle n’existe pas.
L’écriture comÂpoÂsĂ©e (24 fĂ©vrier 2015)
C’est une quesÂtion qui me taraude depuis quelques temps. Depuis, en rĂ©aÂliÂtĂ©, que j’ai pasÂsĂ© avec sucÂcès l’épreuve un peu douÂlouÂreuse du jury devant lequel j’ai prĂ©ÂsenÂtĂ© mes deux masÂters. Si aupaÂraÂvant je me posais la quesÂtion de la perÂtiÂnence de mes Ă©crits, il aura falÂlu quelques temps pour que je finisse par croire en la rĂ©aÂliÂtĂ© des attentes qui pesaient sur moi. Aujourd’hui, c’est la quesÂtion de l’écriture de la thèse de docÂtoÂrat qui se pose Ă moi. Si j’ai l’impression de ne pas avoir beauÂcoup vĂ©cu ces derÂnières annĂ©es, au regard de l’effort fourÂni, je garde au fond de moi la terÂrible envie de dĂ©ployer Ă prĂ©Âsent ce qui m’a touÂjours aniÂmĂ© et que j’ai cru voir posÂsible au traÂvers de quelques mots proÂnonÂcĂ©s par mon direcÂteur de recherches ; ameÂner la penÂsĂ©e Ă penÂser le voyage comme une manière de se dĂ©consÂtruire dans le monde. La monÂdiaÂliÂsaÂtion de soi autour de reprĂ©ÂsenÂtaÂtions qui s’actualisent dans le flot des dĂ©consÂtrucÂtions sucÂcesÂsives et empiÂlables devient pour moi la seule manière de se reprĂ©ÂsenÂter le monde et les relaÂtions interÂperÂsonÂnelles directes. Il devient assez affliÂgeant de voir Ă quel point la plonÂgĂ©e dans un monde mouÂvant et de plus en plus comÂplexe gĂ©nère autour de rapÂports douÂlouÂreux, vioÂlents, alors que tous les indiÂcaÂteurs sont aux verts pour que les choses se passent pour le mieux. On m’a dĂ©jĂ criÂtiÂquĂ© en me disant que mon angĂ©Âlisme Ă©tait pathĂ©Âtique, mais il reste quoi Ă part ça ? Le dĂ©senÂchanÂteÂment ? Le meilleur moyen de somÂbrer dans la haine de soi, et par voie de consĂ©Âquence des autres.
J’ai pris ma dĂ©ciÂsion. Si je n’entame pas ce traÂvail docÂtoÂral, je ferai cavaÂlier seul et j’écrirai quand-mĂŞme ce que j’ai amorÂcĂ©. Si Ă prĂ©Âsent je ne peux plus Ă©crire ce que j’écrivais il y a dix ans, je suis en capaÂciÂtĂ© de faire autre chose. Signe, cerÂtaiÂneÂment, que j’ai vieilli, ou mĂ»ri.
ProÂchaine Ă©chĂ©ance, le 7 mars, date qui dĂ©ciÂdeÂra ou non de ma pourÂsuite d’études.
Les matins du posÂsible (7 mars 2015)
On se prend Ă rĂŞver que l’on est vierge de tout, frais comme un enfant qui revient du dehors, attenÂtif au moindre bruisÂseÂment de la nature, mais la grosÂsièÂreÂtĂ© nous accable en fin de compte. Il n’y a rien de neuf dans ce monde qui ne soit construit par sa propre imaÂgiÂnaÂtion, rien qui ne soit renouÂveÂlĂ© sans le mouÂveÂment de sa propre volonÂtĂ©. Les posÂsibles n’adviennent que lorsque nous sommes dans les bonnes disÂpoÂsiÂtions, pas avant, pas après, juste pendant.
Cherche ta main fouisÂseuse dans la terre encore froide les petites pierres qui feront les rochers de demain, modèle encore ces moments de grâce, un moment lĂ©ger comme le batÂteÂment d’aile d’un papillon qui surÂvient dans une vague subreptice.
L’ombre perÂsiste, sous les cieux clairs, sous des yeux brĂ»Âlants, dans l’air glaÂcial du matin encore endorÂmi. Quelques pages froisÂsĂ©es, une odeur de froid piquant et dĂ©nuĂ© de toute scoÂrie, la cafĂ© m’étrille l’estomac et je finis par me rendormir.
Plus qu’un être sans fond
plus qu’une pâleur affolante
l’esquisse d’un cadavre aveugle
et dans les traits d’un pinÂceau sans encre
demeure la vision des petites aubes nues
des matins sans ombre
des jours qui ne s’endorment plus
Il fauÂdra revenir…