Lun­di 13 octobre

Le week-end a pas­sé vite, comme tous les week-end et m’a appor­té son lot de récon­fort. J’ai des envies de ran­ge­ment ter­ribles, de clas­se­ment, parce que j’ai trop lais­sé trai­ner les choses et que je me retrouve avec tout ce que j’ai accu­mu­lé pen­dant de longs mois à l’a­ban­don. J’ai mis dans des sacs tout ce que j’ai rame­né de Tur­quie, de Thaï­lande et d’In­do­né­sie, des petits sacs épars pleins d’é­ti­quettes, de tickets de bus ou d’en­trée de temple et de sites archéo­lo­giques, des cap­sules de bou­teilles de sodas aux noms exo­tiques, des pièces de pays où je n’ai fait que pas­ser, des éti­quettes de super­mar­ché, des tracts publi­ci­taires, de tout un tas de choses que je n’ai pas pris le soin de trier et que je n’ar­rive pas à jeter. Je suis tou­jours entou­ré de ma propre mul­ti­tude dont je n’ar­rive pas à me dépar­tir. Alors j’ai fait un pre­mier tri, jeté beau­coup de choses, me concen­trant sur l’es­sen­tiel, ne gar­dant que le signi­fi­ca­tif, ce qui attire l’œil et l’esprit.

Nous buvons nos verres de menthe dans un silence rare sous les Tro­piques et que ne trouble pas même le ven­ti­la­teur arrê­té. Silence sans cris chan­tants de mar­chands ambu­lants, sans pétards chi­nois, sans oiseaux, sans cigales. Un vent très léger venu de la baie incline mol­le­ment les nattes ten­dues au tra­vers des fenêtres, découvre un tri­angle du mur blanc cou­vert de lézards endor­mis et apporte l’o­deur de la route dont le gou­dron cuit ; par­fois, seul, l’ap­pel d’une sirène loin­taine, soli­taire et comme étouf­fé, monte de la mer…

André Mal­raux, Les conqué­rants, 1928

Mar­di 14 octobre

Pris dans mon élan, j’ai conti­nué à clas­ser mes affaires, à jeter. Demain, troi­sième phase. Le ran­ge­ment par­ti­cipe de l’har­mo­nie du monde.

Mer­cre­di 15 octobre

Encore un pro­jet dans le tête. Sans le faire exprès, en regar­dant les œuvres d’Aurel Stein, et en me ren­dant compte qu’au­cun de ses livres n’a­vait été tra­duit en fran­çais, j’ai bien envie de me lan­cer dans l’a­ven­ture, comme si je n’a­vais pas assez de choses à faire comme ça. Mais à peine en ai-je déjà par­lé que je me suis lan­cé. Ruines enfouies du Khotan…

Jeu­di 16 octobre

Juste ter­mi­né le livre d’Antoine Sfeir, L’islam contre l’islam, L’interminable guerre des sun­nites et des chiites, en forme de réqui­si­toire contre la peur qu’ins­pire l’é­tat théo­cra­tique d’I­ran. Un simple rap­pel semble remettre les choses à leurs places :

La dia­bo­li­sa­tion de l’I­ran touche le peuple, mais ne gène pas le régime. Il est vrai que ce régime théo­cra­tique dérange les Occi­den­taux, alors que les régimes théo­cra­tiques séou­dien ou qata­ri ne leur posent aucun pro­blème, alors même que le Qatar est en train d’a­che­ter les ban­lieues et de s’im­plan­ter dura­ble­ment en France en y impor­tant un islam rigo­riste. Ce sont d’ailleurs des alliés. Deux poids, deux mesures. Ce que les Ira­niens dénoncent et ont du mal à accepter.

Quoi qu’il en soit, la France a du mal avec l’is­lam et le com­prend tel­le­ment peu qu’elle fait des alliances contre-nature et ne sait même plus où sont ses amis. Elle n’ar­rive plus à dia­lo­guer avec l’Al­gé­rie, avec le Liban, avec la Libye, et encore moins avec la Syrie qui a été arro­sée pen­dant des années depuis les accords Sykes-Picot. Des gens qui ont signé un accord en 1916 et dont on a même oublié les fonc­tions sont à l’o­ri­gine de ce qui se passe cent ans plus tard. La France ne sait pas dia­lo­guer avec les pays arabes, et encore moins avec les musul­mans, qu’ils soient de France oui d’ailleurs. Lorsque j’en­tends que les musul­mans ne font aucun effort pour s’in­té­grer en France et que les jeunes qui naissent aujourd’­hui, même après des géné­ra­tions d’ins­tal­la­tion sur le ter­ri­toire, devraient quand-même por­ter des pré­noms fran­çais, je me demande ce qui n’a pas fonc­tion­né dans les avan­cées éthiques que nous nous sommes pris en pleine figure. Où en sont cer­tains ? Où en êtes-vous avec votre sen­ti­ment d’ap­par­te­nance fran­çaise ? Où en êtes-vous avec l’is­lam ? Com­pre­nez-vous suf­fi­sam­ment mal cette reli­gion pour la dia­bo­li­ser ain­si et poser de manière radi­cale sur les tarés qu’on connaît aujourd’­hui le nom d’ « isla­mistes »? J’en­ten­dais par­ler un jeune imam à la télé­vi­sion qui disait que la pre­mière chose à faire avec ces tarés était de ne pas les appe­ler comme ça, car ils n’ont plus rien à voir avec l’is­lam ; ils le dévoient en le cor­rom­pant et en l’in­ter­pré­tant dans n’im­porte quel sens. Ce que les Fran­çais n’ont pas com­pris, c’est que plus ils se bra­que­ront contre l’is­lam, et plus l’État lais­se­ra les ban­lieues se faire péné­trer par un islam radi­cal, plus les ban­lieues se bra­que­ront contre l’É­tat. Rien de bon ne sor­ti­ra de tout ça. Une fois encore, le meilleur moyen de faire d’une reli­gion qu’on ne connaît pas une res­source pour son propre pays, c’est d’es­sayer de la com­prendre. Mais si c’é­tait dans les habi­tudes de la France, ça se sau­rait depuis longtemps.

Ven­dre­di 17 octobre

La semaine tire à sa fin, les jours sombrent et l’an­goisse d’un nou­veau départ, même pour une des­ti­na­tion très proche, me sai­sit à nou­veau. Demain je pars pour trois jours au Luxem­bourg, sur les traces de ces quelques jours pas­sés avec mes grands-parents il y a bien des années.

Pho­to d’en-tête © Alexandre Moreau