Afin de bou­cler le cha­pitre sur les empe­reurs de Constan­ti­nople et de jeter un voile sur cette période trouble qui n’eut presque que pour unique objet ce qu’on appe­la la que­relle des images, nous allons ter­mi­ner avec l’un des pires artistes de l’i­co­no­clasme, l’empereur Théo­phile (qui, selon l’é­ty­mo­lo­gie, veut tout de même dire qui aime Dieu, ou qui est aimé de Dieu — ça n’aide en rien à com­prendre, c’est juste pour pré­ci­ser). Celui-ci est mort dans son lit après avoir été bles­sé lors de la prise de sa ville natale par le calife, cal­me­ment, loin du tumulte des choses poli­tiques et des com­plots our­dis, et l’his­toire retien­dra de lui qu’il œuvra pour ten­ter de réduire la cor­rup­tion dans son empire.

Deux poètes venus de Pales­tine à la demande du patriarche de Jéru­sa­lem afin de le convaincre de ces­ser de per­sé­cu­ter les chré­tiens ado­ra­teurs des images firent les frais de sa cruau­té ; Théo­phane et Théo­dore, par­ti­cu­liè­re­ment viru­lents dans leurs poèmes et dans leurs pro­pos finirent atta­chés dans une cel­lule où le bour­reau se char­gea de leur lais­ser un joli souvenir.

[…] On leur coin­ça la tête à l’en­droit des tempes dans un étau. Puis, à l’aide d’un sty­let chauf­fé à blanc, on leur reco­pia sur le front, en lettres inci­sées à même la chair à vif, les douze vers ïam­biques que l’empereur venait de com­po­ser tout exprès à leur intention […]

Ne pou­vant se défaire de ces ins­crip­tions qui témoi­gnaient de la féro­ci­té de l’empereur, on les appe­la les frères Grap­toi, les “ins­crits”. Après la mort du tyran, l’im­pé­ra­trice Théo­do­ra qui pas­sa une par­tie de son exis­tence à ten­ter de mini­mi­ser les exac­tions de son défunt époux, fut incom­mo­dée lors d’un fes­tin à la cour lors­qu’un des deux frères, Théo­phane, se pré­sen­ta devant elle et lui jeta à la face les mots qu’il por­tait sur son front, témoi­gnant des atro­ci­tés com­mises par l’empereur ico­no­claste. Indis­po­sée, elle ten­ta de quit­ta la table lors­qu’un homme nom­mé Méthode, patriarche qui fut le prin­ci­pal arti­san de la fin de l’i­co­no­clasme, s’in­ter­po­sa et s’a­dres­sa à elle :

Après l’a­voir recon­duite à sa place, il détour­na l’at­ten­tion en dénouant les ban­de­lettes blanches (ce sont ces mêmes ban­de­lettes qui devien­dront ensuite l’emblème et la parure du patriar­cat) qui entou­raient sa face, mais qui firent aus­si qu’il ne put ache­ver sa phrase après que la der­nière lui eut été ôtée : « Moi aus­si, et bien d’autres ici, eurent à souf­frir pour la cause des images et auraient à ce titre mille rai­sons de se plaindre. Nous ne por­tons pour cela nul désir de ven­geance en notre sein. Je fus per­sé­cu­té sous Michel II mais, il faut le recon­naître aus­si, tiré de mon cachot par Théo­phile et… » A ce moment, sa mâchoire infé­rieure, qui n’é­tait plus sou­te­nue par rien et que seuls deux lam­beaux de chair rete­naient à ses joues, tom­ba, et, ayant jadis été bri­sée par le fer des ico­no­clastes, pen­dit béante au-des­sus de la table, lui décou­vrant le palais et ce qui lui res­tait de dents jus­qu’au fond de la gorge.

Textes extraits de l’Iconoclaste, d’Alain Nadaud
Edi­tions Quai Vol­taire, 1989

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