Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 6 août) : La route d’Arycanda et les mantı

Bul­le­tin météo de la jour­née (mar­di) :

  • 10h00 : 36.7°C / humi­di­té : 25% / vent 31 km/h
  • 14h00 : 39.6°C / humi­di­té : 18% / vent 17 km/h
  • 22h00 : 35.1°C / humi­di­té : 25% / vent 17 km/h

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 001 - Kaş

Ce matin, je me réveille tôt ; je sors sur le bal­con et j’hume l’air chaud qui traîne alors qu’il est à peine 6h30. C’est la mi-nuit et il flotte un vent venu des terres qui balan­cé mes ser­viettes de bain et de toi­lette dans le pré­ci­pice en bas de l’hô­tel. Une ambiance bizarre. Je dois des­cendre par mes propres moyens pour aller cher­cher mes affaires dis­sé­mi­nées au milieu de celles des autres. Je me rends compte une fois arri­vé en bas que mon maillot de bain est per­ché dans le figuier, le reste jonche le sol.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 004 - Kaş

Ce jour est un jour par­ti­cu­lier puisque je prends la voi­ture pour aller loin, à plus de deux cents kilo­mètres de là dans la direc­tion du nord-nord-ouest, non loin d’une grande ville qui s’ap­pelle Deniz­li. Le but de cette jour­née est d’al­ler visi­ter un des plus grands sites de la Tur­quie, un des plus connus, des plus impres­sion­nants : Pamuk­kale (pamuk = coton, kale = châ­teau ou for­te­resse). La route est un peu longue, je compte envi­ron 4h30 pour presque 300 km en taillant un iti­né­raire le plus droit pos­sible, sur une route que je ne connais abso­lu­ment pas et qui pour­rait très bien m’ap­por­ter des sur­prises. La décep­tion d’Ary­can­da me pousse à pré­pa­rer et à assu­rer au maxi­mum cette virée. Je n’ai pas l’in­ten­tion de reve­nir bre­douille cette fois-ci.
Je prends un petit déjeu­ner bâclé en cinq minutes et je suis déjà sur la route, appa­reil pho­to prêt à tirer et me voi­ci parti.

Carte Kas-Pamukkale

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 006 - Kaş-Pamukkale Yolu

Je com­mence par un arrêt à la pompe à essence, le pre­mier depuis que je suis ici et j’ap­prends com­ment ça fonc­tionne. C’est à l’an­cienne, on se croi­rait reve­nu dans la France des années 50. On demande ce qu’on veut au pom­piste qui vous sert en pro­gram­mant sa machine et blo­quant le pis­to­let de la pompe avec un gros mor­ceau de tube en plas­tique. Pen­dant que le réser­voir se rem­plit, il lave mon pare-brise qui est lit­té­ra­le­ment macu­lé de pous­sière. Les balais d’es­suie-glaces sont rin­cés, poly­mé­ri­sés et ne balaient plus rien. De toute façon le réser­voir de lave-glace est aus­si sec qu’un puits aban­don­né. J’ap­prends aus­si à mes dépends que le gas oil est presque plus cher qu’en France. Pas­sé Kal­kan, je trouve sur ma route des vil­lages au nom qui ne m’é­voquent pas grand-chose et que j’au­rais l’oc­ca­sion de tra­ver­ser plu­sieurs fois par la suite : Ova, Kum­luo­vaKınık, Çuku­rin­cir, Gölbent

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 014 - Kaş-Pamukkale Yolu

Plu­sieurs fois je croise les gen­darmes (Jan­dar­ma) qui de leur air méchant regardent la voi­ture pas­ser devant eux sans rien dire. Je n’aime pas trop les voir, même si je sais qu’ils sont beau­coup plus dis­ci­pli­nés que les poli­ciers. La route ne cesse de mon­ter. Je m’ar­rête dans une petite supé­rette sur le bord de la route où les types ont l’air endor­mi. Je me demande même si je ne réveille pas celui qui est à la caisse et à qui je donne l’argent pour mes bou­teilles d’eau et de Fan­ta. La route côtoie des pics, des val­lées pro­fondes aux teintes bleu­tées alors que je suis dans l’ex­tré­mi­té de la pro­vince de Muğ­la. Je croise des popotes qui fument sur le bord de la route sur des poêles hors d’âge et j’au­rais aimé m’ar­rê­ter pour savoir ce qui cui­sait dedans, mais j’ai de la route à faire et je suis encore loin d’être arri­vé. Arri­vé en haut d’un col je fais un arrêt pour sen­tir l’air qui devient très doux. Rien à voir avec Kaş et son air brûlant.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 018 - Kaş-Pamukkale Yolu

Je passe par une ville nom­mée Kara­bel, annon­çant une alti­tude de 1300 mètres (rakım) où je ne m’ar­rête pas et où j’ap­pren­drais qu’on peut voir des restes de civi­li­sa­tion hit­tite ; un lac d’eau boueuse, tur­quoise, rend ces pay­sages de mon­tagne abso­lu­ment superbes. La route est très belle et tout roule plu­tôt bien. Évi­dem­ment, on y roule à la turque, en rou­lant sur la bande d’ar­rêt d’ur­gence pour lais­ser pas­ser ceux qui veulent vous dépas­ser, en ne res­pec­tant abso­lu­ment pas les limi­ta­tions de vitesse et en klaxon­nant pour annon­cer votre pas­sage. Le com­por­te­ment sur la route en Tur­quie est tout à fait cor­dial, jamais éner­vé et sur­tout, assez jouis­sif et libérateur.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 026 - Kaş-Pamukkale Yolu

Dans les plaines on peut voir des tum­ble­weed (vire­vol­tant) et de la pous­sière voler et cin­gler contre la car­ros­se­rie, comme si nous étions aux États-Unis, ou plus hum­ble­ment, dans un vieux wes­tern, à cette dif­fé­rence près que sur le bord de la route, on ne trouve pas de saloons, mais de toutes petites mos­quées. Je fais atten­tion sur la route à bien prendre la dévia­tion pour pas­ser par Altı­nyay­la (celui de la pro­vince de Bur­dur) et qui doit me faire gagner du temps. Pen­dant ce temps-là, je compte énor­mé­ment sur le GPS qui devient un pré­cieux ren­fort puisque la carte n’est pas suf­fi­sam­ment pré­cise pour m’ai­der. La ville est enca­drée de deux cols, le pre­mier à 1580 mètres, le second à 1437 mètres. Les som­mets des envi­rons sont de vrais colosses : Eren Dağı (2503 mètres), Çal Dağı (2184 mètres) et Kara Dağ (2015 mètres). La route conti­nue dans une grande val­lée où souffle un vent à décor­ner les bœufs et où mes roues se prennent de plein fouet les vire­vol­tants qui tra­versent la route, sor­tis de nulle part.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 044 - Kaş-Pamukkale Yolu

J’ar­rive enfin près de Deniz­li qu’an­nonce une grande des­cente et je m’ar­rête avant de m’en­fon­cer dans la ville pour déjeu­ner. Je m’as­sois pour boire un ayran et man­ger une çoban sala­ta, mais le res­tau­rant n’a soit disant pas de carte et quand je demande le prix de la salade, on m’an­nonce un prix exor­bi­tant : 50TL. Je mange ma salade tran­quille­ment et lorsque l’ad­di­tion arrive, je suis sou­la­gé de voir que le type m’a annon­cé 50 au lieu de 15. J’é­tais à deux doigts de faire un scandale.

Billet - Pamukkale

J’ar­rive à Pamuk­kale qu’on voit de loin dans la val­lée. C’est un immense sur­plomb de pla­teau qui avance comme la proue d’un bateau sur la val­lée, dont la cou­leur blanche res­plen­dit dans la lumière écla­tante. Des rabat­teurs m’im­posent de me garer où ils le sou­haitent pour enga­ger des affaires, mais je les envoie bala­der et décline leur pro­po­si­tion. Je finis même par trou­ver une place pour me garer juste au pied du site, à l’ex­trême oppo­sée de l’en­droit où ils m’in­ci­taient à me garer.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 048 - Château de coton

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 056 - Château de coton

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 064 - Château de coton

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 071 - Château de coton

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 073 - Château de coton

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 074 - Château de coton

Le site de Pamuk­kale est divi­sé en deux par­ties et on com­prend vite à son approche pour­quoi il est si cou­ru. On entre par en bas, et l’on doit enle­ver ses chaus­sures en arri­vant sur le tra­ver­tin qu’on esca­lade sur un plan incli­né. Le site est une tufière qui repose sur dix-sept sources d’eau chaude très char­gée en car­bo­nate de cal­cium se dépo­sant par­tout où il peut après éva­po­ra­tion. Le résul­tat est spec­ta­cu­laire et explique aus­si bien la venue des tou­ristes que l’ins­tal­la­tion des anciens sur le site de Hié­ra­po­lis, l’autre ver­sant du site. Sur ce plan incli­né créé de toute pièce, d’im­menses vasques ont été amé­na­gées afin de rete­nir l’eau dont on peut voir, sur des pro­fon­deurs de qua­rante à soixante cen­ti­mètres, le car­bo­nate en sus­pen­sion. Mar­cher pied nu sur cette matière vierge, les­si­vée toute la jour­née par cette eau cal­caire, a quelque chose de presque mys­tique ; on monte ce long che­min de croix en ayant la sen­sa­tion de par­cou­rir un che­min ances­tral qui mène au naos, au saint des saints ; Hié­ra­po­lis.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 081 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 095 - Hierapolis

Tout en haut, on trouve un com­plexe ther­mal construit sur les restes des thermes que les Romains ont bâti pour exploi­ter les sources. Aujourd’­hui, en se ren­dant dans cet endroit, on com­prend ce qui peut atti­rer les foules. Ce superbe site qu’on com­prend vite être exploi­té arti­fi­ciel­le­ment (la par­tie ouest du site est lais­sé à l’a­ban­don en cette période de l’an­née, trop natu­relle et pas car­ros­sable) condense des foules vers cet espèce de foire concen­tra­tion­naire située autour d’une res­tau­rant-bar-pis­cine. Inutile de pré­ci­ser que les gens que l’on voit ici viennent de se taper la mon­tée du tra­ver­tin et ne comptent pas aller plus loin, j’en­tends par là qu’ils n’i­ront pas sur le site archéo­lo­gique de Hié­ra­po­lis. Ben non, il ne faut pas décon­ner, on vient déjà de mon­ter tout ça, on va aller boire un Coca et on redes­cend. C’est fla­grant. Cette foule qu’on voit mon­ter sur le tra­ver­tin dis­pa­rait une fois arri­vé en haut. Per­son­nel­le­ment, si je trouve que le site est magni­fique avec sa cou­leur blanc imma­cu­lé, ce n’est pas la rai­son de ma venue ; je suis là pour le site archéo­lo­gique et j’en aurais pour mon argent, d’au­tant que je ne vais ren­con­trer qua­si­ment per­sonne là-haut.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 098 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 104 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 116 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 117 - Hierapolis

Sous le soleil infer­nal, j’en­tre­prends la visite de la nécro­pole, où s’enchevêtrent pêle-mêle plus de 1200 tombes par­fois dans un chaos indes­crip­tible suite aux trem­ble­ments de terre qui ont rava­gé le site. Cer­taines d’entre elles sont situées sur la zone inon­dée par le tra­ver­tin, défi­ni­ti­ve­ment mêlées au tuf blanc. D’autres sont encore intactes, par­fai­te­ment agen­cées, et l’en­semble s’é­tend sur plus de deux kilo­mètres par­cou­rus sous le soleil de l’en­fer. Je croise un oiseau qui a réus­si à délo­ger un escar­got de sa coquille, ain­si qu’un lézard si gros qu’on croi­rait un iguane — d’ailleurs, c’est un iguane… Armé d’une grande bou­teille d’eau, j’ai arpen­té ce ter­rain tra­ver­sé par les époques. On y trou­ver aus­si bien des tombes hel­lé­nis­tiques, que romaines ou datant de l’é­poque chré­tienne pri­mi­tive. Tout le site est fon­ciè­re­ment char­gé en émo­tion. On ima­gi­ne­rait presque déam­bu­ler les habi­tants de cette ville posée sur ce pla­teau, face à la val­lée bai­gnée de lumière. Dans la cha­leur de l’a­près-midi, la lumière fil­trant entre les nuages donne aux lieux un air irréel qui a dû sai­sir les antiques lors­qu’ils occu­paient encore les lieux.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 135 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 142 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 148 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 151 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 154 - Hierapolis

En retour­nant vers la ville antique, on tra­verse l’Arc de Domi­tien, ou porte de Fron­ti­nus. C’est un bel ouvrage à trois arches de 14 mètres de long, flan­qué de deux tours rondes, menant jus­qu’à la porte byzan­tine, plus mas­sive. Sur le côté, une colon­nade est encore debout et cache une rigole qui se trouve être les latrines publiques. Au milieu de la route pavée, on peut voir encore l’en­cais­se­ment qui fai­sait office d’égout et qui devait drai­ner l’eau de pluie vers le tra­ver­tin (si tant est qu’il pleuve dans cette région du monde). On passe ensuite devant les restes à terre de l’an­cienne basi­lique, de taille tout à fait impo­sante, signe que le site a été occu­pé de manière tar­dive par les Chré­tiens. Il n’en reste que quelques arches, mena­çant de s’é­crou­ler, dans un appa­reillage hasar­deux, bien que mas­sif. Un peu plus loin, on foule les restes d’une église tar­dive, démem­brée. On y accède par une allée sur le bord de laquelle on peut voir deux bornes gra­vées de cou­ronnes de lau­rier. Le che­min mène ensuite au com­plexe des temples. Tout d’a­bord le nym­phaeum ; une fon­taine monu­men­tale sur le devant de laquelle se trou­vait un bas­sin. Il ne reste aujourd’­hui que la paroi du fond et les deux élé­ments laté­raux ; les niches étaient déco­rées de sta­tues de nymphes retrou­vées lors des fouilles archéo­lo­giques. On trouve ensuite les restes du temple d’A­pol­lon, for­te­ment endom­ma­gé par les secousses sis­miques et les pro­fa­na­tions datant de l’é­poque chré­tienne. Il n’en reste plus que le pave­ment de marbre et quelques colonnes encore debout. Assu­ré­ment, le lieu le plus énig­ma­tique est le Plu­to­nium, Plou­to­nion ou temple de Plu­ton. Autre­fois, l’en­trée était suf­fi­sam­ment grande pour y lais­ser pas­ser un homme, mais aujourd’­hui elle a été murée, ne lais­sant qu’un mince filet d’air s’en échap­per, mais un filet d’un air toxique dont une simple res­pi­ra­tion suf­fit à vous prendre à la gorge. Le site est construit sur un sous-sol à l’ac­ti­vi­té géo­lo­gique intense et le cours d’eau par­cou­rant les cavi­tés sou­ter­raines est à ce point char­gé en dioxyde de car­bone qu’elle libère son gaz à cet endroit pré­cis. On ima­gine à quel point les prêtres ont pu exploi­ter cette curio­si­té pour asseoir leur culte du dieu des enfers.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 161 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 165 - Martyrium de l'apôtre Philippe

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 169 - Martyrium de l'apôtre Philippe

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 170 - Martyrium de l'apôtre Philippe

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 173 - Tombe de l'apôtre Philippe

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 186 - Tombe de l'apôtre Philippe

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 174 - Tombe de l'apôtre Philippe

Je marche ensuite dans les ruines, par­mi les futs de colonne gisant sur le sol, pour attra­per une rue pavée, presque invi­sible dans les herbes hautes, et qui s’é­lar­git au fur et à mesure que l’on gra­vit la col­line. Je tra­verse un ouvrage rem­pla­çant un pont écrou­lé menant à un esca­lier monu­men­tal per­du dans les hau­teurs. La cha­leur est acca­blante, j’ai rechar­gé mon sac en bou­teilles d’eau et pour la pre­mière fois depuis que je suis en Tur­quie, je mets mon cha­peau. Si je monte là-haut, ce n’est pas par goût de l’a­ven­ture, mais je sais sim­ple­ment ce qui s’y trouve. J’ai fait tous ces kilo­mètres pour venir voir deux choses qui revêtent pour moi une impor­tance capi­tale : le mar­ty­rium de l’apôtre Phi­lippe ain­si que ce qui appa­raît comme étant sa tombe, décou­verte il y a peu de temps. Dans le val­lon sous le pont, des tombes ren­ver­sées témoignent que ce lieu est sacré. Je gra­vis les marches avec dif­fi­cul­té, le che­min est haras­sant et res­semble à un che­min de croix. Le site de la tombe est fer­mé, qua­drillé, et la petite église qui ren­ferme le petit ouvrage en forme de temple est fer­mé par une grille. C’est une tombe à sacel­lum avec un fron­ton et une chambre funé­raire autour de laquelle a été construite une église à trois nefs datant du Ier siècle. La tombe a été ouverte l’an­née der­nière, mais les osse­ments ne s’y trou­vaient pas car ils auraient peut-être été trans­la­tés dans l’église des Saints Apôtres à Constan­ti­nople, laquelle église a été détruite au XVème siècle, mais cette thèse est sujette à cau­tion. Je suis ici devant un des hauts-lieux du chris­tia­nisme, puisque c’est ici que Saint Phi­lippe a pas­sé ses der­niers moments et c’est de cette ville sacrée que Saint Paul écri­vit son épître aux Colos­siens. Je suis tout seul sur les hau­teurs de Hié­ra­po­lis et je dois avouer que je suis comme pris d’un sen­ti­ment mys­tique qui me grise for­te­ment. En décembre 2011, je m’é­mou­vais de la décou­verte de cette tombe sur ce même blog, sans me dou­ter qu’un an et demi plus tard, je m’y trou­ve­rais. Le tra­cé de la basi­lique construite en l’hon­neur du com­pa­gnon du Christ est suf­fi­sam­ment clair pour qu’on puisse devi­ner sa forme qui devait être de belle taille, signe de l’im­por­tance du per­son­nage qui y est enterré.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 177 - Martyrium de l'apôtre Philippe

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 179 - Martyrium de l'apôtre Philippe

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 183 - Martyrium de l'apôtre Philippe

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 193 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 195 - Hierapolis

Un peu plus haut se trouve le mar­ty­rium, il me faut encore mon­ter quelques marches. C’est un bâti­ment construit sur un plan car­ré incluant un octo­gone dont il reste encore aujourd’­hui les arches. Trente deux pièces ferment l’é­di­fice sur l’ex­té­rieur et une cou­pole de bois fer­mait la bâtisse. Ce monu­ment a été construit sur le lieu même où Phi­lippe fut mar­ty­ri­sé en 80. Rêve ou mys­tère des lieux sacrés, je me sens incroya­ble­ment bien sur ce pro­mon­toire magique, seul au monde dans le silence d’un vent chaud. Je m’ar­rête quelques ins­tants, m’as­sois sur une pierre et me laisse péné­trer par l’at­mo­sphère pro­pre­ment mys­tique que revêt le lieu. Ce sera mon expé­rience la plus forte de ces quelques jours en Tur­quie, l’im­pres­sion d’a­voir accom­pli quelque chose, d’a­voir pous­sé loin pour venir pré­ci­sé­ment ici, sur cette terre char­gée d’histoire.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 196 - Hierapolis - Théâtre

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 199 - Hierapolis - Théâtre

Le soleil com­mence à décroître et je redes­cends dou­ce­ment les degrés qui m’ont ame­né jus­qu’i­ci, pre­nant le temps de regar­der cette superbe vue où le blanc pur du tra­ver­tin a quelque chose d’ir­réel, et en pre­nant le temps de me dire que je viens de vivre quelque chose d’ex­cep­tion­nel. Sur le che­min du retour, je passe par le théâtre, le grand théâtre de Hié­ra­po­lis, aujourd’­hui en pleine res­tau­ra­tion de la scae­nae frons, la par­tie éri­gée qui fait office de décor de fond. L’é­di­fice est immense, beau­coup plus grand que celui de Myra puis­qu’il peut accueillir 15 000 per­sonnes dans ses cavea. Une grande par­tie du site a été exca­vée et les frises retrou­vées à terre suite à un trem­ble­ment de terre sont aujourd’­hui expo­sées au musée. L’im­pres­sion de ver­tige est étour­dis­sante, sur­tout avec ces gra­dins tour­nés vers le pay­sage splen­dide de la val­lée de Pamukkale.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 210 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 213 - Hierapolis

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 214 - Hierapolis

Un peu par­tout dans les contre­bas, on peut voir affleu­rer de la terre des appa­reillages de terre cuite qui devaient être des cana­li­sa­tions d’eau et des rigoles d’é­va­cua­tion ; tout le savoir faire romain, mais aus­si des arches, seuls ves­tiges de bâti­ments qui eux ne sont plus debout. A contre­cœur, je me dirige vers la sor­tie, mais le soleil décline et c’est à l’heure où le muez­zin chante que j’ar­rive sur la rampe de tra­ver­tin, ber­cé par le doux chant de l’eau qui ruis­selle sur la pierre et se jette en contre­bas dans une cas­cade folle. Le soleil se cache der­rière l’a­rête du pla­teau pétri­fié, fatras de cou­leurs impos­sibles qui se mélangent avec le blanc pour toile de fond. La val­lée prend des allures de chant biblique.

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 221 - Château de coton

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 224 - Château de coton

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 222 - Château de coton

Turquie - jour 12 - De Kas à Pamukkale - 215 - Château de coton

Il est temps pour moi de par­tir, de remettre mes chaus­sures, de reprendre la voi­ture et de rou­ler jus­qu’à l’hô­tel. L’es­pace d’un ins­tant, je me dis qu’a­vec la fatigue, il serait peut-être plus rai­son­nable de prendre une chambre d’hô­tel quelque part, mais à bien y regar­der, je n’ai pas tel­le­ment envie de me perdre dans Deniz­li dont je n’ai abso­lu­ment rien vu d’a­gréable. De toute façon, je n’ai pas mon pas­se­port sur moi, ce qui risque de me fer­mer quelques portes. Alors je roule, je remonte la côte sans fin de Deniz­li dans le brouillard, un brouillard si dense que je me demande sim­ple­ment à quel moment je vais quit­ter la route. Je finis par m’ar­rê­ter dans une petite épi­ce­rie borgne sur le bord de la natio­nale pour faire le plein en bois­sons fraîches et dans une sta­tion ser­vice pour ache­ter quelques paquets de chips — je ferai un vrai repas plus tard. La route semble ne pas s’ar­rê­ter, avec la fatigue, la cha­leur, tout s’al­longe et j’ai les yeux qui se croisent. J’ouvre la fenêtre pour me faire fouet­ter le visage par un air chaud et refais la route à l’en­vers, sans oublier qu’il y a une bifur­ca­tion que je ne dois pas lou­per. La route de mon­tagne me fait un peu peur, mais fina­le­ment, tout se passe bien, la chaus­sée est suf­fi­sam­ment large et bien bali­sée pour que tout soit le plus ras­su­rant pos­sible. La voix nasillarde du GPS m’in­dique à un moment de faire un sacré rac­cour­ci en pre­nant la route de Saklıkent. Je ne sais pas ce qui me prend de l’é­cou­ter parce que je me retrouve sur le site des gorges, qui par ailleurs doit cer­tai­ne­ment valoir le coup, mais pas à cette heure-ci. La route est étroite et je croise quelques indi­vi­dus sur le bord de la route que je n’ai­me­rais pas ren­con­trer si la voi­ture venait à avoir un pro­blème. Alors je fais le che­min à l’en­vers et je me rends compte que j’ai fait une ving­taine de kilo­mètres pour rien… Je sors de ce recoin éner­vé et je fais tout pour ne plus dévier de la route prin­ci­pale… et prends soin d’é­teindre le GPS.

J’ar­rive enfin à Kaş érein­té, titu­bant de som­meil après avoir véri­ta­ble­ment éprou­vé les routes turques, avec ses bandes d’ar­rêt d’ur­gence et ses pos­si­bi­li­tés qui sont vrai­ment une libé­ra­tion, une vraie jouis­sance, certes un peu dan­ge­reuse mais tel­le­ment bonne.

Voir les 229 pho­tos de cette jour­née à Pamuk­kale sur Fli­ckr.

Épi­sode sui­vant : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 8 août) : Arri­vée à Pata­ra, Gele­miş, Kum­luo­va, le Lêtốon 

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