Épi­sode pré­cé­dent : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 5 août) : Myra (Demre), Andriake, Lykia Yolu

Bul­le­tin météo de la jour­née (lun­di) :

  • 10h00 : 36.7°C / humi­di­té : 25% / vent 30 km/h
  • 14h00 : 39.5°C / humi­di­té : 18% / vent 19 km/h
  • 22h00 : 35.0°C / humi­di­té : 23% / vent 13 km/h

Cer­taines jour­nées semblent faites pour ne rien faire, où tout se met en place d’une telle manière qu’on a l’im­pres­sion qu’on n’ar­ri­ve­ra pas à se coor­don­ner avec l’ordre des évé­ne­ments et qu’il faut soit bais­ser les bras et se lais­ser por­ter, soit lut­ter contre des moulins.
Puisque je suis au bord de la mer, je décide de pas­ser une mati­née calme au bord de l’eau. La côte est cruel­le­ment décou­pée et les à‑pics de roches qui tombent dans la mer sont autant d’en­traves à s’ap­pro­cher de la mer et les quelques plages de sable sont vite prises d’as­saut. En même temps, comme une petite plage pri­vée se trouve au pied de l’hô­tel, je n’ai qu’à tra­ver­ser la route — très pas­sa­gère — pour arri­ver sur la plage, qui n’a de plage que le nom, car c’est plu­tôt une enfi­lade de ter­rasses posées sur les rochers reliées entre elles par des volées d’es­ca­liers dans tous les sens, jus­qu’à la der­nière pla­te­forme où un esca­lier des­cend dans la mer après qu’on se soit brû­lé les pieds sur les caillebotis.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 01 - Route d'Arycanda - Karadağ

L’eau est un agi­tée dans cette baie natu­relle et l’eau est d’un beau bleu pro­fond et je peux voir avec le masque des petits pois­sons qui viennent bar­bo­ter près des rochers. Je passe ma mati­née entre l’eau et l’ombre du para­sol ; je bulle. Je com­mande des wraps que le gar­çon m’ap­porte en sau­tillant tel­le­ment le sol est chaud. Bai­gnade, som­no­lence, etc.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 04 - Kasaba

L’a­près-midi, déjà bien avan­cée, molle, sans vigueur, je prends la voi­ture pour me rendre à Ary­can­da, une ancienne ville lycienne tran­quille cachée, paraît-il, dans les pins de l’ar­rière pays, dans un petit bled du nom d’Ayki­ri­çay que le GPS ne connaît pas, que les cartes ne connaissent pas et pour lequel je n’ai qu’une indi­ca­tion vague… pas loin de la route qui va d’Elmalı à Finike. En gros, je n’ai rien de plus que ça pour me repé­rer. Je roule jus­qu’à une petite ville qui porte le doux nom de Kasa­ba, qui marque le point où tout com­mence à aller de tra­vers. Des camions à la benne rem­plie de rochers énormes m’ont empê­ché soit de rou­ler à une allure cor­recte, soit de les dou­bler sur des routes à peine plus larges que le camion. J’ai tra­ver­sé ensuite la petite ville de Kara­dağ (mon­tagne noire) qui longe le lit d’une rivière large et assé­chée qui doit être le prin­temps venu le lit d’un tor­rent de mon­tagne assez violent et de là, j’ai tout per­du ; la pos­si­bi­li­té que le GPS me donne quoi que ce soit à gri­gno­ter, les pan­neaux de direc­tion qui ont com­men­cé à se faire rares aux bifur­ca­tions, la carte qui res­tait muette à mes impré­ca­tions l’exhortant à me don­ner une sem­blant de réponse à ce que je cher­chais… J’ai ren­con­tré une tor­tue qui a tra­ver­sé la route plus rapi­de­ment qu’un petit vieux avec une canne, j’ai tra­ver­sé d’im­menses forêts de rési­neux, fait demi-tour une, deux, trois fois… emprun­té une route qui m’a emme­né dans des exploi­ta­tions agri­coles, une route de mon­tagne éprou­vante sur laquelle j’ai fait demi-tour parce que je com­men­çais à avoir le ver­tige, des pan­neaux virage dan­ge­reux tous les cin­quante mètres et des routes qui tournent après des mon­ti­cules de terre. Je tra­verse des tout petits vil­lages per­dus où des pay­sans vivent tran­quille­ment et qui se sont amu­sés à me voir pas­ser plu­sieurs fois avec ma voi­ture imma­tri­cu­lée à Izmir, à six heures de route d’i­ci, après Dağ­bağ (vignoble de mon­tagne). Le route a été cou­pée plu­sieurs fois en rai­son de tra­vaux des­ti­nés à construire des ponts au-des­sus du tor­rent qui par­fois a l’air d’être aus­si large que la Seine à Paris ; les routes sont par­fois lit­té­ra­le­ment déviées à l’in­té­rieur du lit, sur les cailloux. J’i­ma­gine la tête du loueur de voi­ture quand je vais la lui rendre et quand il va se rendre compte que le bas de caisse est à refaire ; il va me bla­ck­lis­ter dans toute la Tur­quie et je ne pour­rais plus jamais louer de voi­ture dans ce pays. Je trouve des ven­deurs de pas­tèques sur le bord des routes pous­sié­reuses qui ceignent des mon­tagnes aux som­mets recou­verts de croûtes ver­dâtres. Sur le flanc de la mon­tagne, au plus loin que je suis allé, la route s’est mise à ser­pen­ter dans des lacets qu’en d’autres pays on aurait fer­mé à la cir­cu­la­tion tel­le­ment c’est dan­ge­reux, avec le vide pour seule com­pa­gnie à ma gauche. Vu comme les Turcs conduisent, je me dis que si croise quel­qu’un, un de nous deux va se retrou­ver en dehors de la route…

Avec tous ces tours et ces détours, je finis par aban­don­ner, il est trop tard et je ne pour­rai jamais arri­ver à temps à Ary­can­da, si tant est que je finisse par trou­ver la route. Ary­can­da m’a échappé.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 05 - Belenli

Sur la route du retour, je me suis arrê­té dans un petite ville à la sor­tie de Kaş, dans la direc­tion du site archéo­lo­gique d’Isın­da, qui porte le nom de Belen­li. Je n’ai pas trou­vé le site archéo­lo­gique, sim­ple­ment un petit vil­lage dis­cret au milieu duquel se trouve une mos­quée flam­bant neuve, avec des cou­poles de zinc ou de plomb, vers laquelle tout le monde se dirige à l’heure de la prière. Je vois en fait sur­tout des femmes, coran dans une main, enfant dans l’autre.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 08 - Belenli

Je pen­sais n’a­voir rien vu de la jour­née, mais j’ai en fait vu des tonnes de choses, qui sont sim­ple­ment autres que ce que je pen­sais voir. La balade n’en était pas moins inté­res­sante, puisque j’ai réus­si à me perdre sur ces routes de mon­tagnes hos­tiles, j’ai vu des vil­lages que per­sonne ne vient voir, j’ai vu des lits de rivière assé­chés, des ani­maux, des mon­tagnes… j’ai vu la Tur­quie de tous les jours, la Tur­quie de la mon­tagne. Il fau­drait pen­ser, dans ces voyages, à refon­der le rôle du regard. Tout y est ethnographie.

Turquie - jour 11 - Le jour des manti - 09 - Kaş

Le soir, arri­vé à Kaş, je m’ar­rête dans un petit res­tau­rant pour y prendre de quoi man­ger à empor­ter. C’est un tout petit res­tau­rant dans la par­tie véri­ta­ble­ment turque, tenu par une femme et son fils, à qui j’ai du mal à faire sai­sir l’i­dée qu’on puisse empor­ter sa nour­ri­ture, take away, mais loin d’a­voir les deux pieds dans le même sabot, il sort son télé­phone, se connecte sur Google trans­late et me demande d’é­crire le mot. Lors­qu’il voit la tra­duc­tion (götür­mek) ses yeux s’é­clairent et il file dans la cui­sine. Je res­sors avec une çoban sala­ta, des mantı (ravio­li otto­mans far­cis à la viande bai­gnant dans la crème fraîche et sau­pou­drés de papri­ka) et une por­tion de frites (par contre, ne pas se trom­per, por­siyon en turc signi­fie assiette) et je file m’a­che­ter une bou­teille de vin de cerise.

En arri­vant à l’hô­tel, je m’ins­talle sur le bal­con, pose la nour­ri­ture sur la petite table… et je me rends compte que je n’ai ni cou­verts, ni tire-bou­chon… Ce n’é­tait vrai­ment pas le jour… J’ai man­gé mes mantı avec les doigts et j’ai enfon­cé le bou­chon dans la bou­teille, m’é­cla­bous­sant au pas­sage le pan­ta­lon d’un vin qui tâche à peine…

Il est temps d’al­ler se coucher.

Voir les lieux tra­ver­sés sur Google Maps :

Voir les 15 pho­tos de cette jour­née sur Fli­ckr.

Épi­sode sui­vant : Dans la vapeur blanche des jours sans vent (Car­net de voyage en Tur­quie – 7 août) : Pamuk­kale, le châ­teau de coton et le mar­ty­rium de l’a­pôtre Phi­lippe, Hiérapolis

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