Lors­qu’en 2010, le vol­can indo­né­sien Méra­pi, sur l’île de Java, est entré en érup­tion, les nuées ardentes ont tout détruit aux alen­tours du vol­can. Champs de riz détruits, air irres­pi­rable, popu­la­tions dépla­cées, bêtes asphyxiées, aéro­ports fer­més et vols annu­lés ; voi­là le quo­ti­dien du sous-conti­nent indo­né­sien, terre cri­blée de pro­émi­nences aux fume­roles létales. Une fois l’é­rup­tion ter­mi­née, la vie reprend son cours, les plus témé­raires reprennent le che­min de leur mai­son, par­fois détruite, il ne reste plus grand-chose, il faut bien l’a­vouer. Le cœur déchi­ré, la vie a du mal a reprendre son cours parce que quelque chose est mort de la vie d’a­vant, et peut-être de la vie d’a­près. Il faut s’y résoudre car tout ne dépend de soi, les attentes sont douloureuses.

Budapest - jour 1 - 37 - Dohány utcai Zsinagóga (Grande Synagogue)

Hine­ni, hineni
I’m rea­dy, my lord

Leo­nard Cohen, You want it darker

Il faut reboi­ser. Rendre la terre fer­tile, reprendre là où on s’é­tait arrê­té, ten­ter de recons­truire quelque chose avec ce qu’on a, même si ce n’est pas grand-chose, quelques brin­dilles et une ficelle de chanvre. On fait le ménage, on épous­sette la terre qui reste sur les tuiles, on replace ce qui n’a pas été détruit, une sta­tuette recou­verte de cendres retrouve son autel autour duquel on allume quelques bâton­nets d’en­cens. Pour les dieux.
Faire le ménage. Débal­ler des car­tons qui n’ont aucune ins­crip­tion, dont je ne connais pas le conte­nu. Un verre de vin d’o­range, au goût amer, frais comme s’il avait pas­sé la nuit dehors. Je navigue dans mon antre, à ran­ger mes der­niers livres ache­tés. Les deux livres de Peter Hop­kirk, Sur le toit du monde : Hors-la-loi et aven­tu­riers au Tibet et Boud­dhas et rôdeurs sur la route de la soie, viennent d’être réédi­tés chez Pic­quier. Je reboise en regar­nis­sant mon envi­ron­ne­ment proche de petites choses qui me sont chères. Le reste prend la direc­tion de la benne. Il est temps de ne plus s’embarrasser avec de l’i­nu­tile, ce qui est en car­ton et qui a toutes les rai­sons d’y res­ter. Si ce qui est en car­ton n’a pas besoin d’être res­sor­ti, c’est qu’on ne s’en ser­vi­ra plus jamais. Autant se désen­com­brer. Par le vide.
Un café. Deux cafés. Prendre l’air dans une jour­née un peu moins froide que ces der­niers temps. Le gel est un mau­vais sou­ve­nir. Se raser nu devant la glace. La cica­trice fait mal. Ça tire un peu. Elle ne par­ti­ra pas et sera là tous les matins devant la glace, à chaque fois que je me rase­rai, comme pour me replan­ter le cou­teau tou­jours dans la même plaie… Un visage qui porte sur lui les stig­mates qui me font pen­ser à l’Inco­ro­na­zione di spine peint par Miche­lan­ge­lo Meri­si da Caravaggio.
Une goutte d’eau sur le par­quet blanc, une larme, une plante qui s’ex­prime. Un car­net, des motifs arabes, maro­cains, géo­mé­triques. Tout écrire, ne rien rete­nir, prendre des notes pour que l’es­prit ne soit pas embru­mé, déga­ger l’ho­ri­zon. Near the paren­the­sis, a brief walk in the sea. Encom­brer son quo­ti­dien. Yaourt blanc, confi­ture d’o­ranges amères, écorces moyennes.
A l’autre bout d’une pénin­sule, un feu brûle avec une cer­taine pas­sion dans un poêle en fonte, le métal chauf­fé pro­dui­sant cette odeur carac­té­ris­tique qui emplit le salon dès les pre­mières heures du jour. Une bou­gie rouge a cou­lé sur le bois céru­sé dans une flaque dif­forme. Meubles blancs laqués, rideaux écrus épais à motifs de guir­lande du 13 décembre. Pas un bruit dehors, si ce n’est celui du vent. On a bien le droit de vivre dans des réa­li­tés paral­lèles, tant qu’on ne marche pas sur les pieds des fantômes.
Jan­vier 2017 se referme déjà et plein de choses se sont pas­sées. Ce blog a failli mou­rir, j’ai failli mou­rir moi aus­si, plein de gens sont morts, mais je suis tou­jours debout. Je regarde par la fenêtre et rien n’a chan­gé, un peu comme si j’a­vais pris le train pour aller très loin et que je me retrou­vais au même endroit. A pré­sent, il est temps pour moi d’a­gir, de ne plus sim­ple­ment subir.
On va reboi­ser, recons­truire, mais comme les nomades, on va faire ça ailleurs parce qu’il n’y a plus d’herbe à pré­sent. Les bêtes ont tout man­gé, rasé la col­line, terre sté­rile qui nous fera mou­rir si on reste ici.

Florence - jour 1 - 102 - Piazza della Signoria - Loggia dei Lanzi - Persée par Benvenuto Cellini

A vue de nez, ce qui me sert encore c’est à peine la moi­tié de tout ce que j’ai engran­gé. Le reste est en par­tance pour la déchet­te­rie. Désor­mais, je ne me lais­se­rai plus faire. J’ai du mal à admettre qu’on puisse me faire du mal, alors peut-être que comme Per­sée, il fau­dra tran­cher la tête le premier.