C’est un magnifique tableau de 109 cm de haut sur 72 peint vers 1370, dans cette période qu’on appelle le Trecento italien, ou pré-Renaissance, par un homme dont il ne reste que peu d’œuvres à travers le monde, Barnaba Agocchiari, plus connu sous le nom de Barnaba da Modena. Cette vierge allaitant tout à fait audacieuse marque le tournant entre les restes d’une forte technique byzantine et la Renaissance. On y voit un drapé marial bleu souligné dans ses plis par des fils d’or (technique de la chrysographie) et toutes les règles de la composition de l’art byzantin ; cadre en ogive, auréole et fond dorés, parapet rouge pour souligner la charge, lignes en triangle d’un classicisme formel. En outre, le cadre montre les traces de colonnes autrefois présentes et qui laissent penser que le tableau est en réalité l’élément central d’un triptyque.
Contrairement à d’autres tableaux représentant la même scène, les personnages font preuve d’une charge émotionnelle particulière. L’enfant se tient le pied, on serait tenté de dire “comme tous les petits enfants”, mais pour le coup, il est clairement énoncé ici que cet enfant n’est pas la forme primitive du Christ, mais un simple bébé. D’autre part, il tient la main de sa mère, geste d’affection hors norme. Quant à la vierge, ses traits sont déjà typés, comme si le peintre avait pris modèle sur une femme existant et ne donne plus l’idée de la vierge, mais les véritables traits d’une femme. Sa carnation est tout à fait particulière ; d’une pâleur extrême, la teinte de la peau tire sur le bleu. Si ça s’arrêtait là, ce ne serait pas plus inquiétant que ça, mais remarquez les lèvres peintes en rouge et les joues légèrement rosies ; nous en sommes en face d’une femme au visage empourprée et au regard pénétrant et langoureux, presque provocateur, au cou penché dans une attitude équivoque.
Photo © Lisabelle3
Le détail le plus surprenant est ce petit objet rouge attaché au cou de l’enfant et qui se trouve être une branche de corail enchâssée, ce qui peut paraître anachronique. Il symbolise une prémonition qu’a eu la mère de Jésus tandis qu’il était enfant et le voyait trente ans plus tard couché dans son giron, mort à la descente de croix (la Pietà). Jésus verse le sang des pêcheurs et Marie porte le linceul de son fils. Le corail est la liaison entre la naissance et la mort du Christ, l’idée du sang qui sera versé par la métaphore de ce petit objet placé non loin du cœur et qui semble figurer le sang se déversant.
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Je me permets de signaler que le scapulaire en corail rouge est assez courant dans la médecine de la Renaissance, et est supposé protéger de la pestilence.
Merci pour cette précision utile. Il semble aussi qu’en Corse, le corail soit de longue mémoire un moyen d’éloigner les mauvais esprits puisque la couleur du sang représente la vie. On peut aussi imaginer, comme l’a fait Piero dans la Francesca dans Noli mi tangere, que le corail est un moyen de signifier les stigmates à venir du Christ…