Nara­sim­ha déchi­rant le corps d’Hiranyakashipu

Nara­sim­ha déchi­rant le corps d’Hiranyakashipu

Tan­dis que la course folle des nuages pous­sés par le vent ne s’ar­rête que lorsque je ne regarde plus par la fenêtre, je me sou­viens d’un nom comme d’un man­tra, le nom d’un des ava­tars de Vish­nu. Nara­sim­ha (नरसिंह). L’homme (nara) lion (sim­ha). Drôle de per­son­nage que ce qua­trième ava­tar de Vish­nu qui avait ber­cé une de mes chaudes nuits au cœur de Bang­kok. Je me sou­viens pré­ci­sé­ment de cette nuit par­ti­cu­liè­re­ment chaude à l’hô­tel Le Tada pen­dant laquelle je dévo­rais le livre de Cathe­rine Clé­ment, Pro­me­nade avec les dieux de l’Inde où Nara­sim­ha, selon la tra­di­tion du Bha­ga­va­ta Pura­na (भागवतपुराण), exter­mi­na l’an­ti-dieu dont le petit nom sonne comme celui d’un mignon petit chien à poil long ; Hira­nya­ka­shi­pu. Nara­sim­ha est pour moi le sym­bole de la ruse dont sont capables les dieux de l’Inde face aux règles innom­brables et par­fois facé­tieuses de la loi. Pour prendre connais­sance de cette his­toire pour le moins cocasse, lais­sons-nous embar­quer par Cathe­rine Clé­ment, qui, en d’autres temps, nous emme­nait sur les che­mins des dieux sur France Culture.

Nara­sim­ha — pho­to © Joaní­dea Sodret

[…] Il est le roi des anti-dieux. Les anti-dieux, en sans­krit Asu­ra, qu’on peut tra­duire par « démons », sont des rebelles en lutte contre les Deva. D’un côté les Deva, de l’autre les Asu­ra. Et celui-là, Hira­nya­ka­shi­pu, est le plus puis­sant des anti-dieux.
Le propre des anti-dieux, c’est que, jaloux des dieux, ils sont tou­jours prêts à leur prendre le pou­voir. Mais lors­qu’un anti-dieu se livre à suf­fi­sam­ment de pra­tiques macé­ra­toires dans le but d’ob­te­nir satis­fac­tion, on n’a pas le choix, on est obli­gé de lui céder. Per­sonne n’a le choix. C’est la loi du yoga, et non celle des poissons.
Hira­nya­ka­shi­pu, qui connaît son monde, com­mene à faire des aus­té­ri­tés pour obte­nir les faveurs de Brah­ma. Il pra­tique notam­ment l’as­cèse des Cinq Feux, et il dégage tel­le­ment de cha­leur autour de lui que les Deva demandent à Brah­ma de s’oc­cu­per de l’im­por­tun. Brah­ma et per­sonne d’autre. C’est la loi ! Puisque l’im­por­tun prie Brah­ma, c’est à Brah­ma de s’en occuper.
Obéis­sant aux règles, Brah­ma appa­raît donc à Hira­nya­ka­shi­pu qui obtient ce qu’il veut. Il a tout pré­vu. Hira­nya­ka­shi­pu obtient l’invulnérabilité.
Mais atten­tion ! Confor­mé­ment au règle­ment, l’in­vul­né­ra­bi­li­té que demande le roi des anti-dieux est pré­ci­sé­ment défi­nie. Il a mûre­ment réflé­chi, ce roi. Quoi qu’il advienne, Hira­nya­ka­shi­pune sera tué ni par un homme ni par un ani­mal, ni par une créa­ture de Brah­ma, ni de jour ni de nuit, ni sur terre ni en l’air. L’A­su­ra pense qu’ain­si, il est bien pro­té­gé. (On va le voir, il se trompe.) Ce n’est pas tout. Hira­nya­ka­shi­pu obtient éga­le­ment l’é­ga­li­té avec Brah­ma et il obtient enfin de pou­voir pra­ti­quer des ascé­tismes que per­sonne d’autre ne pour­ra pra­ti­quer — c’est une garantie.
Brah­ma dit oui à tout. Comme patron des brah­manes, il est obli­gé d’ac­cep­ter les demandes d’un ascète. Il fait de plus en plus chaud ! Les Deva, qui suf­foquent, sont pris au piège. Alors, qui peut les sauver ?
En cas de dan­ger abso­lu, Vish­nu pré­pare un de ses ava­tars. Nous sommes dans un dan­ger abso­lu. Vish­nu va donc se char­ger de l’im­por­tun dont les exer­cices ascé­tiques déclenchent une cha­leur formidable.
En tous les cas, puisque l’ad­ver­saire a tout pré­vu et qu’il est invul­né­rable, il va fal­loir ruser. Vish­nu pré­voit donc de « des­cendre » sous une forme inat­ten­due, (on ne sait pas encore laquelle) mais seule­ment, décide-t-il, quand le fils d’Hi­ra­nya­ka­shi­pu sera mal­trai­té par son père au point de ris­quer la mort.
Vish­nu a ses rai­sons. Hira­nya­ka­shi­pu déteste pro­fon­dé­ment Vish­nu, mais il a un fils qui déteste son père. Natu­rel­le­ment, en bonne logique, ce fils est en ado­ra­tion devant Vishnu.
Furieux de la tra­hi­son de son fils, Hira­nya­ka­shi­pu com­mence à le mal­trai­ter. Il le jette à l’eau ligo­té, en vain ; il lui fait toutes sortes de misères, en vain. L’en­fant sur­vit. Il finit par le mettre à l’é­preuve et le somme de renon­cer à Vish­nu, ou de périr. En vain. Le fils tient bon. Vish­nu appa­raît lorsque le mal­heu­reux enfant risque d’être mis à mort.
Il appa­raît sous la forme d’un homme à tête de lion — donc ni homme ni ani­mal. Il appa­raît au cré­pus­cule — donc ni jour ni nuit. Il attrape Hira­nya­ka­shi­pu et le tue sur ses cuisses — ni sur terre ni en l’air.
Vish­nu n’est pas une créa­ture de Brah­ma. Cet homme à tête de lion qu’on appelle Nara­sim­ha n’est pas non plus une créa­ture de Brah­ma. L’an­ti-dieu n’est pas tué par un ani­mal, ni par un homme ni par une créa­ture de Brah­ma, ni de jour ni de nuit, ni sur terre ni en l’air. Les dieux de l’Inde ont cette par­ti­cu­la­ri­té d’être extrê­me­ment poin­tilleux sur le règlement.
Lié par les accords entre Brah­ma et l’an­ti-dieu, Vish­nu les contourne. Sans conces­sions : il déchire l’an­ti-dieu tout vivant.

Cathe­rine Clé­ment, Pro­me­nade avec les dieux de l’Inde
Edi­tions du Pana­ma, 2005

En-tête : Nara­sim­ha et Hira­nya­ka­shi­pu (1820–1840) 24.5 x 12.8cm, minia­ture indienne.

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L’an­née du chien de terre

L’an­née du chien de terre

Éton­nam­ment, en fran­çais, Chine et chien sont des ana­grammes. Ce qui ne signi­fie pas grand-chose, somme toute. Tou­te­fois, le sino­gramme signi­fie hiron­delle alors qu’elle repré­sente une mai­son avec un double toit. C’est en tout cas ce que ça laisse paraître, car en réa­li­té, c’est un sino­gramme repré­sen­tant ce qui se trouve au-des­sus de l’homme, au sens méta­pho­rique. L’hi­ron­delle, par défi­ni­tion, se trouve au-des­sus de l’homme…

Tout ceci, sera l’oc­ca­sion, cer­tai­ne­ment, de l’ap­prendre cette année. J’au­rais effec­ti­ve­ment pu appro­fon­dir le turc, langue chan­tante et douce, même si j’ai quelques rudi­ments qui me per­mettent de com­prendre le sens d’une phrase, le baha­sa Indo­ne­sia qui sonne si joli­ment comme des bruits de mobiles en bam­bou dans le vent d’une val­lée, avec ses mots doubles et ses 6 façons de dire bon­jour, le far­si avec ses voyelles longues et fines comme de la soie verte, ou encore le thaï an avec ses 44 consonnes et ses innom­brables voyelles qu’on place avant la consonne de sa syl­labe ou qu’on n’é­crit par­fois pas, ses diph­tongues tout aus­si nom­breuses et ses signes dia­cri­tiques, sans par­ler des tons des­cen­dants ou ascen­dants. J’au­rais pu apprendre l’a­rabe comme je me l’é­tais pro­mis, mais la vie n’est en rien ter­mi­née, elle com­mence hier. Fina­le­ment, c’est le chi­nois man­da­rin (汉语) que j’ai choi­si pour débu­ter l’an­née du chien de terre ().

Elle com­mence à peine. En Chine et dans tous les pays qui uti­lisent un calen­drier luni-solaire, elle com­men­ce­ra le 16 février, jour de la deuxième nou­velle lune depuis le sol­stice d’hi­ver, quand le soleil se trou­ve­ra dans le signe du ver­seau. On peut la sou­hai­ter bonne et heu­reuse, aux gens qu’on aime, c’est une conven­tion, une tra­di­tion un peu obli­ga­toire au pre­mier jour de l’an­née. A ceux qui nous indif­fèrent ou qu’on déteste, on ne sau­rait leur sou­hai­ter une mau­vaise année, même si l’on n’en pense pas moins… Quoi qu’il en soit, à tous, indif­fé­rem­ment, d’une manière uni­ver­selle, on ne peut que sou­hai­ter la lumière. Sans la lumière, on ne peut voir et lors­qu’on ne voit rien, tout nous inter­dit et tout nous est inter­dit. Tout le reste ne compte pas vrai­ment. Alors simplement…

過年好

Illus­tra­tion © Wu Guanz­hong (吴冠中)

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