Voilà. Ko Phangan, c’est terminé. Quelques jours dans un enfer vert qui ressemble au paradis. Il fait 32°C sur les rives du Golfe de Thaïlande tandis qu’à Paris, la température de la journée ne dépasse pas les 7°C. C’est aujourd’hui le 10 mars, jour de l’anniversaire de ma grand-mère et à qui je pense énormément, parce qu’elle est seule en ce jour particulier. Je lui envoie un e‑mail qu’elle lira, je l’espère, dans la journée, avec quelques heures de décalage.
Ce soir, je serai projeté dans la grande métropole, à Bangkok, « Ville des anges, grande ville, résidence du Bouddha d’émeraude, ville imprenable du dieu Indra, grande capitale du monde ciselée de neuf pierres précieuses, ville heureuse, généreuse dans l’énorme Palais Royal pareil à la demeure céleste, règne du dieu réincarné, ville dédiée à Indra et construite par Vishnukarn » Sacré programme, mais je n’en suis pas encore là. Pour l’heure, je suis englué dans une torpeur moite. Hier soir, avec le peu de connexion internet que j’ai réussi à stabiliser, j’ai réussi à trouver un billet pour le lendemain soir pour l’aéroport Suvarnabhumi, départ à 21h30, ce qui me laisse finalement encore un peu de temps pour profiter de cette plage qui court au pied de l’hôtel. Précautionneux, j’ai envoyé dans la foulée un mail à l’hôtel où je suis censé arriver que je serai là certainement après 23h00 en demandant si ça ne posait pas de souci, mais aucune réponse, silence radio… Le check-in sur internet ne fonctionne pas ce matin. Aurais-je des raisons de m’inquiéter ? Trop d’incertitudes d’un seul coup ; le voyage reste trop incertain pour mon esprit qui a besoin d’être rassuré.
Petit déjeuner, chambre libérée, les valises en consigne à la réception. La fille me donne une serviette pour aller à la plage où je reste deux bonnes heures à me dissoudre comme un sucre candi dans une tasse de thé. Sur la plage, un chien a fait son trou dans le sable et se morfond à l’ombre. Dernier déjeuner devant le spectacle de l’eau qui clapote et le soleil qui écrase les pentes arborées plongeant dans la mer turquoise. Ma valise part en scooter pour rejoindre le taxi tout en haut du chemin escarpé ; on a tout prévu à ma place. Le taxi, les billets du bateau pour rejoindre Samui, le transfert à l’aéroport… C’est impressionnant de voir à quel point tout ceci est coordonné par des personnes qui n’ont qu’un seul intérêt : se montrer hospitaliers pour que vous ayiez le moins de choses possibles à penser, et c’est exactement ce qui se passe. Je salue les deux serveurs du restaurant, Mr Sim et Mr Sia, que je remercie d’un wai respectueux qu’ils me rendent au centuple. Ce sera mon dernier signe ici, comme le moment d’une rupture qui, à ce moment-là sans le savoir, n’en était pas vraiment une.
Le taxi conduit comme une brute et passe par une route qui n’est pas la route côtière que j’ai vue tout au long de cette semaine. Il me fait presque regretter de ne pas avoir loué de scooter pour visiter l’intérieur de l’île, en passant devant des temples que j’aurais aimé visiter. Il me dépose sur le port en me lançant une formule qui me fait encore rire aujourd’hui ; Thank you Khrap… J’en ris parce que j’ai bien saisi que les formules de politesse sont ponctuées de ces petites particules finales, khrap si c’est un homme qui parle, peu importe le sexe de la personne à qui il s’adresse, ka (son long) si c’est une femme qui parle. Le merci prononcé par un homme donne quelque chose comme khop kun khrap (le r après le kh est une sorte de son aspiré qui fait qu’on ne le prononce pas). Ce qui signifie que le taxi, avec ses cheveux longs et son éternelle casquette de base-ball défraîchie mélange allégrement le merci anglais avec la formule de politesse thaïe.
Le hall de la gare maritime est un vaste hangar ouvert aux quatre vents autour duquel gravitent les stands des compagnies maritimes et dans lequel le vent s’engouffre de tous les côtés, faisant de cette étuve métallique un lieu finalement assez frais. Laissant ma valise dans l’enclos prévu à cet effet, l’étiquette de la compagnie Seatran Discovery Link collée sur la poitrine, je longe le quai jusqu’aux échoppes ambulantes installées autour de motos trafiquées vendant pad thaï et jus de fruits frais, canettes de soda et mangoustans blets sous un soleil implacable donnant une teinte jaune chaleureuse aux lieux. L’attente est longue. J’attends sous l’abri, morfondu sur un banc en ferraille, transpirant comme une vache, tandis qu’une petite musique hippie locale finit d’endormir tous ceux qui font la même chose que moi, c’est-à-dire rien, rien d’autre qu’attendre. Attendre ici est une dimension différente de ce que peut signifier l’attente dans une gare ou à un arrêt de bus chez nous, moment qui me paraît toujours interminable et fastidieux. Je ne saurais dire si c’est la chaleur ou l’ambiance, terriblement décontractée, qui fait que ces moments de pure oisiveté deviennent à la fois précieux et consistants. Une femme qui vend des billets pour une traversée est vautrée dans une chaise longue, n’attendant qu’une seule chose, qu’on la dérange. Une grosse peluche de télétubby pendouille sur une chaise en bois à ses côtés. De l’autre côté du quai, des cartons de marchandises attendent sous un toit en tôle près d’un bateau en bois sur lequel sont peints en gros les mots Suratthani-Koh Phangan. Sur la cabine peinte en blanc et rose est écrite une inscription ondulante : N. Sandeemanethrup 5. Le nom du propriétaire ? Sur son pont, des dizaines de sacs de pommes de terre et d’autres légumes indéfinissables, exposés en plein soleil. C’est sur ce quai que je quitte l’île, où le temps s’est étiré comme un vieux chewing-gum collé à mes semelles.
Je monte sur le bateau qui crache une épaisse fumée noire et m’installe sur le pont arrière, complètement découvert, le soleil en pleine face. Un drapeau thaï flotte dans le vent tandis que le port de Thong Sala disparaît dans la lumière de cette fin de journée un peu magique. Quelques pages lues, assis par terre, arrivent à tromper le doux ennui dans lequel je me drape, entre deux bouchées d’un sandwich au thon presque sans saveur. Samui arrive en ligne de mire et le débarquement se fait dans un joyeux bordel et tout le monde monte dans les vans climatisés qui font le transit jusqu’à l’aéroport à moins de dix minutes de route. L’aéroport est un lieu coquet, affublé d’une allée imitant le luxe surfait d’une avenue digne de Singapour ou de Kuala Lumpur où se succèdent boutiques de luxe et restaurants. La salle d’attente est vaste et confortable ; le mur des toilettes est un immense aquarium où végètent d’énormes poissons rouges aux yeux globuleux. Je m’installe dans la salle d’attente pour un bon moment, j’ai trois heures d’attente pour mon vol, qui n’est même pas encore affiché. Je dévore les pages de mon livre d’un air distrait tandis que les ATR-72 décollent et atterrissent sans discontinuer, dans un vacarme de turbo-propulseurs que personne ne semble plus remarquer. Je me rends compte à quel point le temps n’a plus la même valeur, et pendant ces quelques jours ici, j’ai l’impression de m’être laissé désarmer par une ambiance où le temps s’est affaissé. C’est certainement ça le sens du mot “se reposer”. Je me sens incroyablement bien ici, sans présumer de ce que je vais trouver à Bangkok et qu’à ce moment-là je m’imagine comme étant une capitale de province, douce et calme. Je suis un gros naïf.
Dans l’avion, les gens sont bruyants. Derrière moi, deux Italiennes doivent se croire dans leur salon. Les deux hôtesses sont magnifiques, un physique d’une finesse toute thaï, une d’elle a les yeux très bridés et fins, l’autre porte un bermuda court, les cheveux coupés au carré et un sourire craquant. Il y a cinq jours, un avion du même type s’est écrasé dans l’intérieur de la Thaïlande, sur la même compagnie (Bangkok Airways), mais le mien se pose sans encombre sur le tarmac de Suvarnabhumi. Je récupère ma valise sur laquelle un bandeau jaune a été collé ; Security checked. Je ne sais pas trop si elle a été ouverte ou non. J’attrape un taxi qui roule comme un dingue jusque dans le centre de Bangkok. Il faut payer un péage en plus de la course, déjà chère. Le chauffeur, un type d’une quarantaine d’années veut absolument m’emmener le lendemain voir des tigres drogués à 250km de là et un marché flottant “typical”. Je suis obligé de lui dire que je repars demain pour qu’il arrête d’essayer de me vendre sa soupe tiède. La ville que je traverse me donne l’impression d’être dans le quartier de La Défense, juste à côté de Paris, à cette différence près que ça semble s’étendre sur des dizaines de kilomètres. Juste avant d’arriver à l’hôtel Golden Tulip (qui n’existe plus aujourd’hui sous ce nom), c’est un quartier de petites rues sans personne. Wisutkasat Rd est une artère passante où la route passe sur deux étages. Il est temps pour moi de poser ma valise. Un 7/11 encore ouvert alors qu’il est minuit et demi me permet de me restaurer d’un fanta, un paquet de chips et d’un bol de nouilles déshydratées que je me prépare avant de tenter de m’endormir ; la chambre donne sur la piscine dans laquelle barbotent en braillant de jeunes Russes pleins de bière que personne ne rabroue.
Bangkok est là, sous mes pieds, mais je sens d’ores et déjà que ce ne sera pas la même histoire que Phangan…
Mu Ko Ang Thong (อ่างทอง, bol d’or) est un parc national marin, accroché à un chapelet d’îles pour la plupart inhabitées. Situées à mi-chemin entre Ko Phangan et le continent, c’est un petit paradis dans lequel on ne peut se rendre que sur des bateaux de fortune dont le tirant d’eau ne permet même pas de s’approcher suffisamment pour accoster. 42 îles sur une superficie de 102 km2, dont seulement 18 sont des terres. Le reste ce ne sont que rochers affleurant. Seulement 20 habitants. C’est tout ce qu’on peut dire de cet émiettement.
Le taxi qui m’emmène à Thong Sala n’est en réalité qu’un pick-up sans bâche où l’on doit se tenir à des barres de métal pour éviter de se retrouver projeté sur la route. Avant d’arriver au port, il ramasse une américaine d’une cinquantaine d’années, simplement vêtue d’un short de boxe thaï et d’un tee-shirt fluo sur lequel éclatent les mots full moon party. Ça donne tout de suite le ton. Elle a la peau des joues grêlée, une voix nasillarde avec une horrible accent américain et le teint frais de la fêtarde qui ne sait pas s’arrêter. En arrivant au port, le taxi avance jusqu’au bout de la jetée. Il a à peine la place de passer, mais il insiste et repart en marche arrière comme si de rien n’était. Le bateau qui attend là est une coquille de noix constellée d’étoiles blanches peintes à la main, baché de sacs à patates en guise de pare-soleil. On nous sert un café déshydraté trop fort avec des tranches d’ananas et de pastèque et des donuts baignant dans leur huile de friture, de quoi se vider avant le départ en mer. Ne sachant pas réellement ce qui m’attendait ce jour-là, j’espérais simplement que le chemin ne serait pas trop long, car monter sur ce genre de rafiot tient plus du suicide que de la belle excursion en mer.
Il met les gaz et me voilà parti pour une heure et demie de navigation sur une mer un peu agitée, sous un soleil de plomb se réverbérant sur une eau d’un beau bleu uni, me mordant la peau dès les premiers rayons. Le bateau fait un arrêt devant les rochers d’une des îles les plus au nord, Ko Wao Yai, un bout de rocher sans rien autour. Il paraît qu’ici c’est un des plus beaux spots de plongée du coin. J’entends la chaîne couler sur la fonte de l’écubier et se ficher dans la roche marine, à une quinzaine de mètres si je calcule bien. A peine le bateau arrêté, tout le monde plonge du ponton, masque et tuba fiché sur la tête. En ce qui me concerne, je reste un peu circonspect. Le bateau bouge pas mal et les courants semblent fort, mais tous n’hésitent pas à un seul instant à plonger dans l’eau turquoise. Appréciant la nage en mer autant que si j’allais me faire circoncire, je descends doucement dans l’eau qui tient ses promesses, les courants sont forts et m’angoissent déjà. En plongeant sous l’eau, je me rends compte que j’avais raison ; il y a effectivement une quinzaine de mètres d’eau sous mes pieds. C’en est trop pour moi, je remonte à la surface et m’accroche au bateau, pris d’une panique incontrôlable. En bon descendant de Bretons, je préfère amplement me trouver sur l’eau que dedans, a fortiori si les fonds ne sont pas à portée de mes pieds. Je n’ai jamais aimé ça, je me l’étais confirmé en nageant dans les eaux transparentes de la baie de Kekova, dans le sud de la Turquie. Ces conneries ne sont pas pour moi… Je préfère regarder l’horizon qui s’ouvre devant moi. Quelques bateaux de pêcheurs de calamars sont amarrés sur les bas-fonds.
La prochaine étape est une île sur laquelle le bateau fait escale, Ko Mae Ko. On trouve ici une curiosité géographique puisqu’après avoir gravi quelques chemins bien raides pendant une bonne demi-heure, entourés de roches volcaniques coupantes comme des rasoirs, on arrive face à un lac d’eau de mer, d’une couleur d’émeraude étincelante, le Thale Nai. Perché bien au-dessus du niveau de la mer, c’est à n’y rien comprendre. Comment cette eau salée a pu se retrouver encerclée ainsi et surtout à une telle hauteur ? Entourée d’escarpements de calcaire, on ne peut pas y descendre, on ne peut que s’approcher de la surface éclatante de l’eau dans laquelle on peut voir des petits poissons sans couleur s’ébattre. Là encore, le mystère en entier. Comment sont-ils arrivés jusqu’ici ?… De l’autre côté, on a une vue impressionnante sur l’archipel qui s’étend aux pieds de l’île. En redescendant du lac, je prends le temps de me baigner dans une petite crique à l’eau calme, où je peux voir mes pieds toucher le sol, ce qui est à peu près la seule chose rassurante pour moi… Je me vautre dans cette eau d’une chaleur incroyable où de tout petits poissons viennent s’enquérir de ma présence.
Le bateau repart tranquillement sur une mer d’huile, protégée par la proximité des autres îles. Il s’arrête à bonne distance de la côte et les garçons de bord nous donnent des sacs étanches pour mettre nos affaires… je ne comprends pas trop ce qui se passe et je commence à avoir peur qu’on nous invite à rejoindre l’île à la nage… En réalité, des bateaux à moteur, les fameux long-tail boats (เรือหางยาว, Ruea Hang Yao), viennent nous chercher pour accoster. Le tirant d’eau n’est pas suffisant pour que le gros bateau puisse s’approcher. Le problème, c’est que les long-tail boats n’arrivent pas non plus à s’approcher de la plage, et c’est là que je comprends l’intérêt des sacs étanches. Il faut plonger dans l’eau jusqu’à la tête pour arriver sur l’île… Un peu sportif et surprenant, mais ça ne manque pas de charme. Me voici enfin sur la dernière île, la plus grande, Ko Wua Ta Lap.
Mon genou me fait souffrir et l’invitation à monter au sommet de l’île pour aller admirer l’archipel n’est plus de mise, mais ce que je vais découvrir ici aura largement compensé le spectacle promis. En effet, au pied de la montagne, à quelques mètres au-dessus de moi, vivent des petits singes arboricoles absolument pas farouches. Ce sont des « Dusky leaf monkey » ou Langur (Trachypithecus obscurus, Semnopithèque obscur) qui se déplacent en famille. Je reste à les admirer pendant de longues minutes, m’amusant de leurs cabrioles et facéties, pendus par les pieds, ou mordillant leur queue…
La journée touche à sa fin. Pendant que le reste de la troupe est partie trekker dans les hauteurs, je m’allonge à l’ombre des palmiers, dans un calme originel et je profite pendant de longues minutes d’une plage déserte cachée du soleil, le temps de reposer ma peau de la morsure du soleil et de profiter d’une eau plus chaude que tout ce que j’ai connu jusqu’ici. Le ressac des vagues me donne l’impression d’une Bretagne transplantée sous les cocotiers, sous des franges d’épiphytes sauvages et de fougères ruisselantes d’eau. Ce sont des moments rares, où le temps n’a plus d’importance, où l’on se retrouve seul avec l’impression que le monde est à nos pieds. Ma peau me brûle terriblement mais mon esprit est empli d’une sérénité que seul l’éloignement de tout permet. Il est des bouts du monde qui ne se laissent apprivoiser à moins d’avoir laissé tomber quelque chose en chemin.
Le bateau retourne à pleins gaz vers Ko Phangan, après m’être contorsionné pour remonter sur le long-tail boat, mettant mon genou à rude épreuve. Au début de la course, je m’amuse de voir les vagues traverser le pont et les bordées frappées par les creux que nous prenons de côté. Mais le Golfe de Thaïlande n’a d’idyllique que le nom. C’est en réalité un enfer capricieux qu’il faut traverser avec l’estomac bien accroché. Dans une belle lumière de fin de journée, le bateau laisse entendre des craquements effrayants de bois pourri. En attardant un peu mon regard sur la structure du bastingage, je m’aperçois qu’il y a des fissures partout et c’est finalement la cabine entière qui semble accrochée à un fil au-dessus de nos têtes. La traversée n’en finit pas. Certains sont malades et le parquet de bois brut finit maculé de vomissures. A l’arrière, je me rends compte que deux des garçons de bord ont ouvert la cale où se trouve le moteur et écopent avec une belle ardeur l’eau qui s’infiltre partout. Je manque de tourner de l’œil en me disant que si le moteur finit noyé, nous allons devoir rester là une bonne partie de la nuit avant qu’on vienne nous chercher. Mais dans l’équipage, personne ne semble inquiet.
Je suis finalement rentré entier à Ko Phangan, mais on ne m’y reprendra pas. La mer n’est pas un jeu et embarquer sur un bateau comme celui-ci est tout simplement irraisonnable. J’en ris maintenant, mais je n’ai jamais été aussi angoissé sur la mer. A croire que c’est à prix-là qu’on accède au paradis… ou à l’enfer…
S’il est un personnage emblématique de Bali, c’est bien le barong. Représenté sous la forme d’un personnage monstrueux, portant un masque de lion et habité par deux personnes, une portant le masque, l’autre portant le corps, il est le Banaspati rajah, le seigneur de la forêt et son origine remonte avant l’arrivée de l’hindouisme sur l’île de Bali, au temps où les cultes animistes étaient bien ancrés. Le spectacle lui-même comporte plusieurs tableaux, dont un legong, et une place importante est laissée à la danse du keris, arme sacrée qu’on connaît plus volontiers sous le nom de kriss malais, et dont la lame est chargée d’une puissance sacrée censée protéger son détenteur. La symbolique très forte du spectacle de barong est centrée sur la lutte entre le bien et le mal, métaphoriquement habitée par Barong d’un côté, et la sorcière Rangda de l’autre. Dans les spectacles non destinés aux touristes, la danse occasionne la transe des protagonistes.
Le masque de Barong est lui-même chargé d’une puissance spirituelle très forte et on le trouve généralement protégé à l’intérieur de l’enceinte des temples, à un emplacement bien précis, sous un toit de chaume pour le protéger de la pluie. Celui du Pura Taman Kemuda Saraswati est visible lorsqu’on visite le temple.
J’ai assisté à ce spectacle dans la cour d’un petit temple donnant sur un carrefour, un soir où je me suis fait accompagner par un des garçons de l’hôtel sur son scooter. Immanquablement, la vie au-dehors du temple continue. Pendant près d’une heure et demie, les danseurs enchaînent les tableaux à l’entrée du Pura Penataran Kloncing, dans une atmosphère chargée de spiritualité.
J’ai été particulièrement impressionné par la beauté de ces femmes balinaises dont l’expertise dans la danse est flagrante ; il n’y a qu’à voir leur corps convulsés, raides et graciles, leurs mains prendre des postures expressives ne serait-ce qu’en bougeant un seul doigt, leur regard changer d’expression d’une seconde sur l’autre, leurs pieds se tordre dans un ballet millimétré. L’une d’elles occupant le rôle d’un prince était particulièrement belle et troublante.
Retour sur cette soirée magique, en images, sons et vidéo. La vidéo dure 14’55’‘, les enregistrements audio couvrent la totalité du spectacle, soit exactement 81’39’’. Avec le spectacle de legong au Palais d’Ubud, ce sont les deux spectacles que j’ai intégralement enregistrés.
Je l’ai déjà dit plusieurs fois, Ko Phangan est une petite île du Golfe de Thaïlande, isolée du reste du monde bruyant. Petite île donc, mais peu praticable à pied. Il vaut mieux ici se déplacer en taxi ou à scooter. Tous les ans, des conducteurs imprudents perdent la vie sur cette île, d’ailleurs réputée pour cela, parce que les routes y sont étroites, mal entretenues, les conducteurs souvent alcoolisés et la présence policière nulle, parce que beaucoup de personnes ne font pas attention, doublent n’importe comment. Je crois que le pire, c’est de se trouver nez-à-nez avec un occidental qui a, l’espace de quelques instants, oublié qu’on roule à gauche en Thaïlande. Mais ne parlons pas de ce qui pourrait arriver ou de ce qui n’est pas arrivé, mais bien plutôt de l’expérience intéressante que procure le scooter sur cette petite île avec ses montées et descentes vertigineuses, ses routes parfois sans aucun revêtement, les branches de palmiers qui tombent sur la route et les chiens qui vous regardent d’un air débonnaire tandis que vous les klaxonnez pour qu’ils se poussent. C’est certainement le meilleur moyen de prendre le temps de voir l’île comme on le souhaite, de s’arrêter là et quand on veut, sans être dépendant des caprices d’un taxi qui roule souvent trop vite.
Je me suis donc amusé à prendre cette petite vidéo, depuis le centre de l’île jusqu’à l’hôtel, avec une bande originale pour le moins locale puisque chantée par Luk Phrae Urai Phon (cliquez pour voir la vidéo originale, à tous les sens du terme), une vraie star Thaï.
Mettez votre casque, chaussez vos lunettes pour éviter les bestioles et c’est parti pour cinq minutes de course folle sur les route thaïlandaises !!
Accoler / Detterrir, une autre manière de dire atterrir et décoller. Parce que peu importe le sens dans lequel on le dit. C’est vrai après tout, si on regarde d’un peu près l’étymologie des deux mots, voilà ce qu’on peut se dire ; le sens de décoller signifie à la fois, pour un avion, quitter le sol, mais aussi séparer deux choses qui sont collées, jointes, solidaires. Ainsi, on peut très bien imaginer le remplacer par le mot detterrir, qui, comme son cousin atterrir signifie rejoindre la terre, pourrait signifier quitter la terre…
Peu importent les mots. Lors de mon dernier voyage en Turquie en mai 2013, un mois de mai d’une densité incroyable, où j’ai rencontré des personnes avec qui je suis toujours en contact aujourd’hui, je me suis amusé à filmer chacun des décollages et atterrissages de ce voyage.
Je suis parti le 1er mai de Paris pour rejoindre Istanbul. Atterrir à Istanbul Atatürk a quelque chose de magique. La piste est relativement courte et commence presque au bord de la mer. Passer au-dessus de la Mer de Marmara avec une beau soleil qui se réfléchit sur cette mer aux accents antiques est comme un rêve éveillé. On atterrit toujours à Istanbul en étant un peu chahuté, il faut s’y attendre. C’est comme ça. Peu importe les circonstances, j’ai une petite chanson dans la tête lorsque j’arrive, quelque chose comme le chant d’une femme, une lamentation douce et triste.
Le même jour, à quelques heures d’intervalle, j’ai repris un vol interne pour rejoindre Kayseri. Lorsqu’on décolle d’Istanbul et qu’on se dirige vers l’est, l’avion fait une grande boucle autour de la la pointe du sérail et nous donne une vue impressionnante sur la ville antique. Kayseri est un peu la capitale de la Cappadoce, beaucoup plus grande que Nevşehir. L’atterrissage se fait dans une ambiance humide, de gros nuages épais et lourds tournant autour de l’Erciyes dağı (Mont Argée). Des avions militaires, des C‑160 Transall visiblement, les 20 qui sont encore en service dans le monde, sont parqués sur le côté droit de la piste.
Le 6 mai, je repars du même aéroport, Kayseri Erkilet Havalimanı. Le temps est beaucoup plus clément, le soleil se blottit sur les contreforts de la montagne culminant à presque 4000 mètres. En ce mois de mai, alors que la température frise les 25°C, le sommet est encore couronné de neige immaculée. Une nouvelle fois, j’atterris à Istanbul et encore une fois, je suis du côté droit de l’avion ; de là où je suis, je ne vois pas la pointe du sérail, mais la partie ouest de la grande agglomération.
Le 11 mai, l’avion décolle d’Atatürk, dans une lumière de fin de journée. Le vol dure presque quatre heures et donne l’impression de courir après le soleil qui se couche. Lorsque j’atterris à Charles de Gaulle, la nuit vient à peine de tomber sous un ciel de plomb aux couleurs violacées. Les lumières des villes alentours et de cette immense ville qu’est l’aéroport de Roissy, les couleurs criardes des champs de colza, tout ceci annonce le retour à la réalité.
Les vols en avion m’angoissent toujours, je me sens toujours un peu fébrile lorsque le commandant de bord annonce au micro que les hôtesses doivent se préparer au décollage, que les réacteurs vrombissent sur le tarmac. Les rails de glissements des volets s’allongent pour laisser tomber les volets qui vont permettre à l’avion de décoller du sol et finissent par retourner à leur emplacement lorsque nous serons à une altitude suffisante. A l’atterrissage, les mêmes volets ressortent pour offrir une plus grande portance et agrandir la surface de la voilure. Une fois à terre, les spoilers se dressent pour plaquer l’avion au sol et lui permettre de freiner lorsque les inverseurs de poussée prennent le relais pour soulager le système de freinage. J’aime pourtant regarder les ailes bouger au gré des bourrasques, se plier et trembler sous les différences de pression. En quelques mots, j’aime me faire un peu peur, jamais vraiment rassuré de m’envoler, et pourtant toujours content de prendre l’air, parce qu’au bout du vol, c’est une autre réalité qui s’ouvre.
Voici un petit montage vidéo de ces atterrissages et décollages pendant le mois de mai 2013, accompagné de la musique envoûtante de Mercan Dede avec un titre superbe, Nar‑i Can, sur l’album Nar (Doublemoon, 2002).