Le monde tour­noyant de Thong Sala

Le monde tour­noyant de Thong Sala

Thong Sala. Thong Sala (ท้องศาลา), à l’ouest de la petite île de Ko Phan­gan, accro­chée à la mer du Golfe de Thaï­lande comme un esca­la­deur déses­pé­ré à la falaise qui sur­plombe la mer. La pre­mière fois que j’ai mis les pieds ici, c’é­tait un après-midi, un ter­rible après-midi d’o­rage. A peine y avais-je mis les pieds que le ciel s’est frac­tu­ré pour se déver­ser en trombes tro­pi­cales sur les rues mal bitu­mées de cette petite ville fai­sant office de centre admi­nis­tra­tif d’une île qui semble dépour­vue de tout, sauf de pois­sons et de cala­mars. Pas très éten­due, elle me fait l’im­pres­sion d’une ville fou­traque, hasar­deuse, sans vrai­ment de sens, avec des fils élec­triques par­tout dans les airs et plus de scoo­ters que d’ha­bi­tants, des vieux hip­pies imbi­bés de Chang Beer et de jeunes toxi­cos tatoués comme des frises incas.

3 - Carnet de Thaïlande - 14 - Baan Thongsala

3 - Carnet de Thaïlande - 15 - Baan Thongsala

3 - Carnet de Thaïlande - 11 - Baan Thongsala

La pre­mière fois que je suis arri­vé au Pan­tip Mar­ket, prin­ci­pa­le­ment actif le soir et la nuit, je me suis dit qu’il n’é­tait pas ques­tion que je déjeune quoi que ce soit qui vienne d’i­ci. Car­casses de canard accro­chées par les pattes, macé­rant tran­quille­ment dans leurs cages de verre en plein soleil, odeurs de pois­sons tailla­dés insou­te­nables, sus­pen­dus en plein air, de grillades de bou­lettes d’une viande à l’o­ri­gine indé­ter­mi­née… Fina­le­ment, je me lais­se­rai ten­ter par les petites assiettes de pad thaï pré­pa­rées sur place, avec sucre en poudre, piment et giclée de jus de citron vert sur des caca­huètes écra­sées qui feront le prin­ci­pal de mon séjour ici, mais aus­si par les bro­chettes de bou­lettes de pou­let qui, à peine ingé­rées, me lais­se­ront presque mort sur le bord du trot­toir, à me prendre les tripes d’un mal étrange qui se ter­mi­ne­ra aux toi­lettes dans un fra­cas inima­gi­nable. L’o­deur asso­ciée au Pan­tip Mar­ket, c’est celle du rance et de l’a­va­rié, mais c’est comme à peu près comme tout, j’i­ma­gine, on finit par s’y faire.

3 - Carnet de Thaïlande - 08 - Baan Thongsala

3 - Carnet de Thaïlande - 25 - Baan Thongsala

Ce pre­mier jour où les rues sont bat­tues par une pluie qui semble ne jamais devoir s’ar­rê­ter, je suis pris en otage sous les tôles ondu­lées d’un han­gar où l’on vend des vête­ments de toutes les cou­leurs fluo­res­centes qu’il est pos­sible d’i­ma­gi­ner, sans quoi que ce soit pour me pro­té­ger de la pluie. Il fait une cha­leur de four­naise sous les tôles et l’air ne cir­cule qua­si­ment pas. La pluie par­vient à peine à dis­si­per l’at­mo­sphère lourde et grasse. Je réus­sis à m’en­fuir d’i­ci après avoir ache­té un bal­lon en rotin pour mon fils, du baume du tigre et un pen­den­tif en forme de médaille où prie en silence un boud­dha debout.

3 - Carnet de Thaïlande - 13 - Baan Thongsala

Un de ces jours, je mange dans ce mar­ché de nuit, sous la grande halle qui sert à se pro­té­ger des averses aus­si fré­quentes que mas­sives, du pou­let épi­cé et du jus de mangue gla­cé. Une jeune fille à peine en âge d’a­voir des enfants débar­rasse et net­toie les tables avec sa petite fille dans les jambes, à peine haute comme deux pommes. L’en­droit est bruyant et sale ; un vieux baba chante du Bob Mar­ley avec sa gui­tare en pas­sant au milieu des tables, et un har­mo­ni­ca en tra­vers de la bouche, qu’il ne sait visi­ble­ment pas uti­li­ser. Je me rends compte qu’il n’y a pas un seul Thaï sous ce han­gar ; je n’ai rien à faire ici, ce n’est pas mon monde et je ne veux sur­tout pas être assi­mi­lé à cette foule dans laquelle je ne me recon­nais pas. Je quitte cet endroit qui doit cer­tai­ne­ment don­ner l’illu­sion à tous ces Amé­ri­cains et Alle­mands qu’ils sont ici au cœur de la Thaï­lande authen­tique, tou­jours dans l’entre-soi, même à l’autre bout du monde.

3 - Carnet de Thaïlande - 17 - Baan Thongsala

Thong Sala, c’est un port « inter­na­tio­nal » dans lequel trône un navire mili­taire, enfer­mé dans une rade, à dix mètres de la plage. Je rentre dans la nuit en taxi, accom­pa­gné du chant des cra­pauds qui s’é­go­sillent dans les ténèbres et d’une lumière bleue accro­chée aux mon­tants du pick-up trans­for­mé en taxi-brousse, don­nant à la nuit un air magique et irréel.

3 - Carnet de Thaïlande - 22 - Baan Thongsala

Voi­là, c’est ça Thong Sala. Ce n’est pas grand-chose, juste une petite ville pus grosse que les autres, d’où partent des petits bateaux depuis son port inter­na­tio­nal pour rejoindre Ko Samui, Ko Tao, et même le parc natio­nal de Mu Ko Ang Thong. Il n’y a rien à voir ici. Quelques petits temples sans inté­rêt, la mer du Golfe de Thaï­lande qui s’é­tend sur l’ho­ri­zon, des mar­chés où prend à la gorge l’o­deur insou­te­nable des cala­mars séchés et de pois­sons que je n’o­se­rais pas appro­cher, mais ce qu’on vient cher­cher à Thong Sala, c’est autre chose, et ce n’est pas ce qu’y viennent y cher­cher tous ces vieux Alle­mands à la peau buri­née par le soleil, atten­dant leur méla­nome sous les feuilles de bana­niers ; on vient y cher­cher les pro­duits de pre­mière néces­si­té pour ensuite retour­ner dans son para­dis caché de tous, une fois de temps en temps.

3 - Carnet de Thaïlande - 19 - Baan Thongsala

C’est la nuit que Thong Sala a le plus de charme, parce qu’en­fin, char­mante comme un enfant, il est plus agréable encore d’at­tendre qu’elle se soit endor­mie pour pro­fi­ter de son silence.

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