Timbres-poste #1

Timbres-poste #1

Same­di 29 août

Au petit matin, au grand matin, la houle déferle entre mes deux oreilles. Une migraine tout ce qu’il y a de plus sym­pa­thique me sai­sit au pied du lit. Ces der­niers temps, j’ai l’im­pres­sion que le corps ne suit plus tout à fait, un peu comme si le poids des ans venait tout à coup faire sur­face dans ma vie, pour­tant bien ran­gée et presque sans excès, quelque chose d’à la fois inop­por­tun et d’in­con­nu. On se sur­prend alors à avoir un peu peur de ce qui va se pas­ser ensuite, à vou­loir gom­mer le pré­sent his­toire d’être cer­tain de ne pas bas­cu­ler vers autre chose encore.
Je cherche dans mes car­nets pas­sés, entre­po­sés sur mes éta­gères nou­vel­le­ment ins­tal­lées, l’é­mo­tion des voyages qui se conjuguent à pré­sent à l’im­par­fait ; je cherche les émo­tions qui furent les miennes et que déjà, peut-être, j’ai oubliées. À leur contact fré­mis­sant, à leur tendre évo­ca­tion, je retrouve comme des expé­riences déli­cieuses, sim­ple­ment au contact des noms, au sou­ve­nir de la cha­leur écra­sante qui s’a­bat sur mon crâne ou de la sueur qui tâche mes che­mises légères, les encroû­tant de sel. Le soleil a appor­té avec lui son lot de cou­leurs tendres, de vio­lines et de man­da­rines. On a beau regar­der les sou­ve­nirs au-des­sus d’une vitre éclai­rée, ils ne prennent pas tou­jours la cou­leur qu’on aime­rait leur voir adopter.
Les saveurs des voyages refont sur­face. Des envies sau­vages et ambitieuses.

Marcus de la Houssaye par Marc Garanger ©

Mar­cus de la Hous­saye par Marc Garanger ©

L’homme qui figure sur la cou­ver­ture de Une sai­son pour la peur de James Lee Burke. Il se nomme Mar­cus de la Hous­saye, un Cajun.

[audio:grandcentralptii.xol]

Dj Sprinkles — Grand Cen­tral, Pt. II
Mid­town 120 Blues (Mule Musiq, 2009)

Dimanche 30 août

Des odeurs de végé­ta­tion m’en­va­hissent. Il fait chaud dans la petite ville, le soleil de midi écrase tout dans un silence de fin du monde. Seules les tour­te­relles et les pigeons ramiers semblent se moquer de cette lour­deur inha­bi­tuelle. Mal­gré tout, un cou­rant d’air frais passe dou­ce­ment, presque visible, on pour­rait le prendre dans la main et lui deman­der de s’ar­rê­ter s’il n’é­tait pas autant le bien­ve­nu. Une pas­tille d’air frais dans un uni­vers de four­naise. Un fré­mis­se­ment de sueur nait à la base de mes lèvres, juste sous le nez, dès que je bouge le petit doigt. Le cou­rant vient rafrai­chir et effa­cer les quelques perles salées, lais­sant sur ma peau encore hâlée et lui­sante un goût de sel délicat.

Same­di 12 septembre

C’est amu­sant pour moi de regar­der les ombres s’a­gi­ter autour de moi, les esprits s’an­gois­ser et se tendre pour la moindre petite gêne au creux de leur exis­tence. Je m’a­muse aus­si de regar­der ceux qui n’ar­rivent pas à rem­plir cette vie pour­tant si courte de la moindre joie ; je dis que je m’en amuse, mais en réa­li­té je le déplore et si j’é­tais réel­le­ment tota­le­ment dans l’empathie, cela me dépri­me­rait plu­tôt qu’autre chose. Mais ce n’est pas le cas. Si je dis que je m’en amuse, c’est que cela ne me touche pas plus que ça. J’en­tends sou­vent, tel un cre­do de l’ère moderne, que les jour­nées sont fol­le­ment rem­plies d’é­vé­ne­ments et de choses com­plè­te­ment dingues à faire, j’en­tends des « je suis sous l’eau », des « je n’en peux plus, je ne m’en sors pas » et sur­tout des « mais bon dieu, arrête de m’en­qui­qui­ner, je n’ai pas le temps pour ça !!! ». Ces phrases tra­duisent en réa­li­té la vacui­té de ces exis­tences qui sous cou­vert d’ar­gu­ments fal­la­cieux s’empêchent de prendre le temps. J’ai tou­jours le temps de faire ce que j’ai envie de faire car je m’or­ga­nise pour cela. Dire qu’on n’a pas le temps est une autre manière de dire qu’on n’a pas envie, et l’ar­gu­ment devient la cause, dis­si­mule la paresse, res­semble à de la poudre aux yeux… Le vide des exis­tences rem­plit le temps comme la marée enva­hit un bras de mer éven­tré, bous­cu­lant tout, ne lais­sant aucune chance, même au sable…

Adolfo Farsari - Kiyomizu Kyoto

Adol­fo Far­sa­ri — Kiyo­mi­zu Kyoto

Dimanche 13 septembre

Cette phrase, superbe, est comme trois points de sus­pen­sion à la fin d’une phrase pro­non­cée par un magicien :

J’é­tais fati­gué de les voir me don­ner congé comme si je n’é­tais qu’un simple adverbe dans leurs existences.

James Lee Burke, Une tâche sur l’éternité

Ce matin la pluie tombe drue sur la ville, me lais­sant voir au tra­vers de la fenêtre comme un spec­tacle de fils de fers dres­sés sur l’herbe tel­le­ment ça tombe fort, comme d’in­nom­brables billes d’a­cier jetées des fron­tières du monde connu. L’o­deur du petri­chor m’en­va­hit jusque sous la croûte des os et le bruit du cli­que­tis de l’eau qui tombe sur la ter­rasse finit par m’abrutir.
Je com­mence à m’i­ma­gi­ner les longues plages de dia­mant du Sri Lan­ka ou l’o­deur mus­quée du sol de la forêt bir­mane. En février, j’i­nau­gure une nou­velle série de voyages. D’i­ci là, je tâche­rai de conti­nuer à tis­ser des liens et je conti­nue­rai à croire, ou tout au moins à faire sem­blant de croire qu’en chaque jour se cache un tré­sor, qu’il suf­fit de regar­der les yeux grands ouverts pour se per­sua­der que ce n’est pas qu’un leurre de l’esprit.

Aujourd’­hui, j’ai presque 60 000 mots à recom­po­ser dans le bon ordre.

Pho­to d’en-tête © War­ren Keelan

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