Les lieux de nulle part

Les lieux de nulle part

Il y avait bien long­temps qu’il n’a­vait pas fait chaud, aus­si long­temps. Ça res­semble à un été d’ailleurs, un été médi­ter­ra­néen, un été comme on n’en voit jamais ici. Un de ces jours, il fai­sait tel­le­ment chaud que je suis sor­ti un peu pour mar­cher, en tout début d’a­près-midi et j’ai arpen­té un peu la rue dans laquelle je tra­vaille, la rue Paul Vaillant Cou­tu­rier. Tout y était si déses­pé­ré­ment calme qu’on aurait crû une ville du Gard à l’heure de la sieste. Un peu plus et on enten­dait le chant des cigales.
La basi­lique était écra­sée de soleil, dans la blan­cheur de sa pierre réflé­chis­sant la lumière vive et le par­vis était aus­si désert qu’une place de Manosque après déjeu­ner. Les maga­sins fer­més, un mer­cre­di, comme si la cha­leur avait déter­mi­né le monde entier à se ter­rer dans les caves. Il fait donc si chaud que ça ? Seul un bar­bier est ouvert, mais il est affa­lé sur un de ses fau­teuils de clients, la tête bas­cu­lée en arrière comme s’il atten­dait lui-même qu’on le rase. Mais qui donc rase le bar­bier ? Lumières éteintes, une petite musique cra­cho­tée depuis un poste de radio minia­ture… Je sou­riais parce que j’a­vais vrai­ment l’im­pres­sion d’être dans un film. Ou dans un conden­sé de cli­chés acco­lés les uns aux autres.

Ce n’est pas le diable qui se cache dans les détails, mais la vie elle-même, à moins que celle-ci, défi­ni­ti­ve­ment, a quelque chose de dia­bo­lique… La moindre des petites his­toires ne sau­rait se pas­ser de détails.

Bouddha recouvert de feuilles d'or

Boud­dha recou­vert de feuilles d’or au Wat Arun, Bang­kok. Aqua­relle, encre et gomme à masquer.

Cette année sera une année banale. Déjà bien enta­mée, elle se révèle un peu terne parce que je sais qu’elle sera sans voyage. 2014 a été l’an­née de l’In­do­né­sie, et du Luxem­bourg en octobre. 2015 sera l’an­née des des­ti­na­tions habi­tuelles. La Bre­tagne ; l’im­pres­sion de tour­ner en rond, d’être comme l’en­fant que j’é­tais et qui s’en­nuyait pen­dant les longues jour­nées du mois d’août, qui allait visi­ter la cha­pelle des Sept-Saints au Vieux-Mar­ché (Ar C’houerc’­had), le pre­mier pèle­ri­nage isla­mo-chré­tien créé pour Louis Mas­si­gnon en 1954 et qui reprend un miracle de la Bible, com­mun à l’Is­lam (les sept saints dor­mants d’Éphèse) et au Chris­tia­nisme (les sept saints fon­da­teurs de la Bre­tagne), dont Ernest Renan et Fran­çois-Marie Luzel sont les rap­por­teurs. Rien que de pen­ser à cette somme d’en­nui, je com­mence déjà à m’en­dor­mir. Si ce ne sera pas l’é­té des grandes trans­hu­mances, il fau­dra que je puisse le trans­for­mer en été des grandes lignes d’écritures…

Les lieux dorment, ils se taisent lors­qu’on les approche, font mine de n’être rien pour ne pas éveiller l’at­ten­tion du passant.

Le dehors dort tran­quille­ment, sim­ple­ment brus­qué par­fois par le pas­sage d’une voi­ture, d’un scoo­ter, aga­çant et revêche. Bas­cu­ler sans arrêt de l’a­gi­ta­tion au calme est au final assez éprou­vant pour les nerfs. Mon cœur bat, mes doigts pal­pitent… Je suis ten­té de dire que tout va bien.

Pho­to d’en-tête © Mend­hak

Read more
Trèves (Trier) sur la Moselle, la plus ancienne ville d’Allemagne

Trèves (Trier) sur la Moselle, la plus ancienne ville d’Allemagne

En sor­tant de Vian­den, je vou­lais reve­nir en Alle­magne, pro­fi­ter d’être dans les parages pour nager sur cette fron­tière incer­taine que je n’ai pas arrê­té de tra­ver­ser toute la jour­née. C’est sur la fron­tière et non pas de chaque côté qu’il se passe réel­le­ment quelque chose, que les iden­ti­tés se brouillent et se dépar­tagent pour refon­der quelque chose de nou­veau, que les cer­ti­tudes que l’on a d’être soi se dépar­tissent de leur ori­peaux. Je vou­lais res­sen­tir cette sen­sa­tion étrange encore une fois, alors j’ai pris les che­mins de tra­verse, les petites routes pas­sant dans des vil­lages insi­gni­fiants pour celui qui est en mal de sen­sa­tions mais où l’âme est cer­tai­ne­ment la plus pure de tout pré­ju­gé. J’ai l’ha­bi­tude de dire que c’est lors­qu’il ne se passe rien que les révo­lu­tions sont en marche. C’est la même chose pour les lieux ; c’est là où il ne se passe rien que j’aime musar­der, parce que je suis cer­tain d’y trou­ver quelque chose.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 001 - Route de Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 028 - Porta Nigra

En arri­vant aux portes de Trèves, je des­cends une grand côte qui me donne une vue spec­ta­cu­laire sur ce qu’est la ville ; quelques flèches annoncent de grandes églises au clo­cher poin­tu, noyées dans un urba­nisme dense et com­plexe. Je ne sais pas ce que je vais décou­vrir là, mais je fais plu­sieurs fois le tour du centre sans arri­ver à m’en rap­pro­cher. Des rues pié­tonnes en entravent l’ac­cès, appa­rem­ment dans une volon­té d’en vider la cir­cu­la­tion. Quelques places modernes où trônent un ciné­ma, un centre com­mer­cial, rien de très typique, rien de très exci­tant, à part peut-être une jeu­nesse désin­volte qui arpente les petites rues et pro­fite de la tem­pé­ra­ture encore clé­mente. Je finis par trou­ver de quoi me garer sur une grand artère où l’on trouve quelques hôtels un peu cos­sus, Chris­tophs­traße. Inévi­ta­ble­ment, je tombe sur ce superbe monu­ment qui devait autre­fois fer­mer la ville et qui remonte à l’é­poque romaine tar­dive ; la Por­ta Nigra. Son nom fait réfé­rence à la cou­leur de sa pierre, qui sans être véri­ta­ble­ment noire est recou­verte d’une patine fon­cée pré­sente depuis quelques cen­taines d’an­nées. Il paraît que le moine Siméon (un ermite ayant trou­vé refuge à Beth­léem et sur le Mont Sinaï) s’y fit enfer­mer jus­qu’à sa mort en 1035. Drôle d’i­dée que de quit­ter les cha­leurs de la Judée pour venir se faire enfer­mer dans un monu­ment romain, en pleine val­lée mosel­lane où la neige doit tom­ber drue l’hi­ver. Une église fut construite pour célé­brer le saint, puis détruite par Napo­léon pour lui rendre son aspect romain. Ce qui attire mon atten­tion immé­dia­te­ment, c’est la taille gigan­tesque des pierres qui com­posent l’é­di­fice ; on n’est pas face à de la bri­quette, ni même à de la belle pierre de taille, mais face à des blocs énormes taillés de manière grossière.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 007 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 011 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 014 - Hauptmarkt

La nuit a fini par tom­ber et c’est dans un semi-soir rosé que je des­cends l’ar­tère de Simeons­traße, une longue rue com­mer­çante des­cen­dant jus­qu’à la place du mar­ché, la Haupt­markt qui paraît être le vrai centre névral­gique de la ville. Avec ses belles mai­sons hautes à fron­ton baroque, res­sem­blant fort aux aus­tères mai­sons fla­mandes, c’est une place magni­fique que la lumière rend irréelle. Ici un carillon sonne l’heure, accro­ché à la façade d’un café, ici une église se cache dans un recoin, sous un por­tique où vous atten­dant trois las­cars titu­bant, prêts à vous deman­der l’au­mône, gen­til chré­tien. Une magni­fique fon­taine trône sur le côté de la place, sur­mon­tée d’un saint que je ne prends pas la peine de détailler, peut-être Saint Siméon, peut-être pas. Les saints me sortent par les yeux et ne sont que les signes d’un temps révo­lu dont je veux m’ex­traire. Je ne regarde plus que les cou­leurs de pein­tures, les dorures, les courbes des mai­sons hautes et ce pavé gros­sier qui ondule sous les pas. Je détourne le regard de ces vitrines flam­boyantes où les marques s’af­fichent comme dans tous les centres-villes désor­mais. La fla­gor­ne­rie du monde moderne.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 018 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 020 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 022 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 024 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 025 - Dom Trier

En contour­nant la place, mon regard est atti­ré par une flèche qui dépasse du pay­sage. Une petite rue part sur ma gauche et rejoint une autre place, de belles dimen­sions. Je trouve ici deux églises col­lées l’une à l’autre, deux grosses églises, impo­santes, de dimen­sions telles qu’on pour­rait les croire cathé­drales… La plus grande, avec sa façade aus­tère, son évident style roman, ses deux beaux gros clo­chers et ses étranges tou­relles d’angles est assu­ré­ment un monu­ment puis­sant et ancien. Une chose m’é­tonne tout de suite. On est mani­fes­te­ment du côté de l’en­trée de l’é­glise, du côté ouest, mais un ren­fle­ment dans la struc­ture indique qu’il y a comme un chœur de ce côté-ci, ce qui est vrai­ment inha­bi­tuel. Les arcades en façade et les arcs en pierre de dif­fé­rentes cou­leurs donnent l’im­pres­sion d’être face à un monu­ment roman du sud de la France. La com­pa­rai­son me vient immé­dia­te­ment avec l’é­glise de Saint-Nec­taire. Je n’y m’y suis pas trom­pé, c’est bien une cathé­drale, la cathé­drale Saint-Pierre de Trèves. Le nom de son patron indique une auto­ri­té supé­rieure, mais son petit nom, celui qu’on lui donne ici est tout sim­ple­ment Dom Trier. Je m’ex­ta­sie éga­le­ment sur le por­tail his­to­rié de sa voi­sine, l’église Notre-Dame-de-Trèves, qu’on appelle plu­tôt Lieb­frauen­kirche. Plus élan­cée, moins large, moins mas­sive, tout indique qu’elle est tout de même ancienne. C’est une illu­sion, elles ont été construite à la même période, à la moi­tié du XIIIè siècle. L’ef­fet est sai­sis­sant car ces deux églises dont la date de début des tra­vaux est 1235 sont en réa­li­té dans deux styles dif­fé­rents ; la pre­mière en style roman, la seconde dans un gothique pri­mi­tif. Ma frus­tra­tion est énorme car il est tard et les deux églises sont fer­mées depuis plus d’une demi-heure ; je rêve d’un monde où les églises seraient ouvertes la nuit, comme au Moyen-âge où l’on pou­vait y entrer à n’im­porte quelle heure, ouvertes aux quatre vents et dénuées de ces hor­ribles bancs en bois qui brisent la pers­pec­tive et en feraient oublier cer­tains pavages par­fois plus inté­res­sants que les pla­fonds. A part reve­nir demain, je ne vois pas com­ment faire. Reve­nir dans une autre vie ? Ce serait trop idiot. On en sait jamais si on revien­dra dans ses pas, à moins de le dési­rer très fort.

Je retourne vers la Por­ta Nigra car mon esto­mac me fait vio­lence et je me mets en quête d’un res­tau­rant. Une gar­gote un tan­ti­net bour­geoise me fait de l’œil, mais les prix pra­ti­qués me cou­pe­raient presque l’ap­pé­tit. J’ai fina­le­ment trou­vé, dans un endroit tota­le­ment impro­bable, une bras­se­rie moderne, à deux pas de la Por­ta Nigra, mais com­plè­te­ment cachée, cette enseigne qu’on peut trou­ver en entrant dans la cour du cloître qui porte le nom de Simeons­tift­platz. La bras­se­rie Brun­nen­hof pro­pose des plats copieux et fins pour une dizaine d’eu­ros, à l’a­bri du vent mau­vais qui souffle le soir, dans un lieu cap­ti­vant, un ancien cloître illu­mi­né et d’un calme ines­pé­ré au beau milieu de la ville. J’y ai man­gé une fine tranche de sau­mon cuite en papillote, avec des zestes de citron et une poê­lée de légumes, accom­pa­gnée d’une pinte de la bière locale, la Bit­bur­ger (Bitte ein bit ! dit le slo­gan). Je ne cache pas que mes trois mots d’al­le­mand ne m’ont pas beau­coup ser­vi pour tra­duire le menu et pas­ser la com­mande auprès du gar­çon. On m’a­vait pour­tant juré qu’a­vec la proxi­mi­té de la fron­tière fran­çaise et luxem­bour­geoise, les gens par­laient for­cé­ment quelques mots de fran­çais. Tu parles… Une bonne dose de bonne volon­té de sa part et une ten­ta­tive de la mienne à par­ler anglais sont venus à bout de la com­mande. Pas­sée l’é­mo­tion, je me suis vau­tré dans mon fau­teuil pour pro­fi­ter de l’air frais de cette belle soi­rée d’oc­tobre, en siro­tant ma bière gla­cée sous l’ombre impo­sante de la Por­ta Nigra, légè­re­ment ivre de fatigue, ivre de vivre cet ins­tant déli­cat et somptueux.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 034 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 035 - Dom Trier

Je ne pou­vais tout sim­ple­ment pas en res­ter là. Après être ren­tré tard sur une route que j’ai eu du mal à appri­voi­ser, je me suis levé avec une seule idée en tête… déjeu­ner au beau milieu de ces visages sans âme de l’hô­tel Double Tree, ces couples muets et bla­fards, ces retrai­tés gouailleurs, pour repar­tir vite fait vers Trier. Sous un ciel bileux qui s’est décou­vert au fur et à mesure, j’ai décou­vert l’autre ver­sant du Dom Trier ; son che­vet baroque, tout en ron­deur et que j’al­lais décou­vrir de l’in­té­rieur, le tré­sor qui s’y cache, et son impo­sante sta­ture, avec ses angles nets, et deux autres clo­chers mas­sifs et carrés.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 039 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 042 - Dom Trier

J’ai décou­vert à l’in­té­rieur un autre monde, la rudesse et la fan­tai­sie alle­mande, le contre-poids entre la Réforme et la Contre-Réforme, la séche­resse et la gau­driole. Dans ce qui me parais­sait être une chœur à l’en­trée en est peut-être un, je n’en sais rien, mais son pla­fond en demi-cou­pole est ornée d’une superbe déco­ra­tion de plâtres fine­ment exé­cu­tés, sur un fond bleu roi, don­nant au tout une étrange impres­sion de camée, appor­tant une lumière écla­tante de crème Chan­tilly tout juste battue.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 037 - Dom Trier

A la découverte de Trier (Allemagne) - 047 - Dom Trier

Au beau milieu de la nef trône dans les airs les plus belles des orgues, sus­pen­dues en l’air ; on appelle ça des orgues en nid d’hi­ron­delle. Celles-ci ont la par­ti­cu­la­ri­té d’en avoir éga­le­ment la cou­leur. D’une beau­té épous­tou­flante, d’une har­mo­nie gra­cieuse et presque hau­taine, c’est de loin le plus beau buf­fet d’orgues que j’ai jamais vu.

La crypte, comme sou­vent les cryptes, n’a pas grand inté­rêt, si ce n’est que j’y découvre des cuves en étain conte­nant cer­tai­ne­ment de l’eau bénite et dont je n’ar­rive presque pas à lire les éti­quettes. C’est trop peu évident pour moi et je ne cherche pas à com­prendre ce que cela peut vou­loir dire. Je m’en éton­ne­rai plus tard.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 057 - Dom Trier

La véri­table sur­prise de cette jour­née, c’est l’ab­side, celle que j’ai vue de l’ex­té­rieur, car elle contient quelque chose d’u­nique. On y trouve, enfer­mée, enchâs­sée dans une gangue de verre, hors de por­tée de mains, et de fidèles, la très sainte et très véri­table tunique du Christ. Enfin une des véri­tables. Car il en existe plu­sieurs. Les mau­vaises langues diront que le fait qu’il en existent plu­sieurs est le déter­mi­nant même du fait qu’elles sont toutes fausses, c’est ce qu’on appelle la délé­gi­ti­ma­tion mutuelle. Mais c’est sans comp­ter que le Christ avait peut-être un dres­sing avec plu­sieurs tuniques, qu’on a toutes retrou­vées. Plus sérieu­se­ment, les deux tuniques “sérieuses” sont ici, et à… Argen­teuil, à deux pas de mon lieu de tra­vail, dans la Basi­lique. J’y suis allé un midi, mais je ne l’ai jamais trouvée…

A la découverte de Trier (Allemagne) - 062 - Cloître du Dom Trier

A l’ex­té­rieur, un cloître magni­fique entoure un jar­di­net dans lequel sont enter­rés des pré­lats qu’on ima­gine impor­tants et d’où l’on peut voir l’im­po­sante église sous un autre angle. Dans une des ailes, une plaque en cuivre ajou­rée annonce qu’i­ci se trouve un ossuaire… De quoi faire trot­ter l’imagination.

A la découverte de Trier (Allemagne) - 069 - Liebfrauenkirche

A la découverte de Trier (Allemagne) - 071 - Liebfrauenkirche

On entre ensuite dans la Lieb­frauen­kirche, étrange église construite sur un plan de croix grecque, ce qui est pas­sa­ble­ment éton­nant pour une église gothique, alors que les églises romanes étaient déjà construite sur un plan de croix latine. Ses vitraux lumi­neux et son pla­fond fleu­ri sont du plus bel effet et son plan ramas­sé lui donne une impres­sion de légè­re­té et d’é­troi­tesse que sa hau­teur élève vers… le Très-Haut ?… Je n’ai rien trou­vé d’autre à dire. Sans me sen­tir écra­sé par la puis­sance mys­tique des deux églises, je sens quand-même que le lieu dégage une cer­taine aura, peut-être un peu accen­tuée par la pré­sence de nom­breuses per­sonnes venues visi­ter ces deux églises, en pleine période automnale…

A la découverte de Trier (Allemagne) - 075 - Konstantin Basilika

A la découverte de Trier (Allemagne) - 078 - Konstantin Basilika

A la découverte de Trier (Allemagne) - 081 - Konstantin Basilika

Dans les rues, de grandes mai­sons ornées de por­tails impo­sants, sur­mon­tés d’é­cus­sons tenus par des lions debout donnent une impres­sion de richesse à la ville. Je marche jus­qu’à un autre monu­ment que je ne pour­rais mal­heu­reu­se­ment pas visi­ter, car fer­mé pour tra­vaux. C’est la Kons­tan­tin­ba­si­li­ka, une ancienne aula romaine ayant de ser­vi de salle du trône à Constan­tin, recon­ver­tie en église pro­tes­tante et dont la forme est stric­te­ment byzan­tine. On se croi­rait dans un fau­bourg d’Is­tan­bul. D’une rigueur extrême, impo­sant avec ses 67 mètres de long, ce bâti­ment nous vient tout droit de l’An­ti­qui­té et demeure le plus grand monu­ment encore intact qui nous soit par­ve­nu de cette époque. Son aspect dépouillé paraît conve­nir par­fai­te­ment à ses nou­velles fonc­tions de temple pro­tes­tant, mais la proxi­mi­té d’un palais baroque rose bon­bon col­lé sur son flanc, construit par Lothaire de Met­ter­nich au XVIè siècle, gâche un peu l’en­semble. Aus­si bien les Alle­mands sont capables du meilleur goût que par­fois leurs choix esthé­tiques sont hasar­deux. En l’oc­cur­rence, com­ment s’en sen­tir res­pon­sable lorsque ledit bâti­ment a 400 ans ?

A la découverte de Trier (Allemagne) - 088 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 091 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 093 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 094 - Hauptmarkt

A la découverte de Trier (Allemagne) - 095 - Hauptmarkt

Je n’ai plus beau­coup de temps à pas­ser ici. Je dois ren­trer ce soir, pas trop tard de pré­fé­rence, et pour l’heure, je dois aller dépla­cer la voi­ture si je ne veux pas me prendre une amende. Sur le che­min, j’ef­fleure à nou­veau les murs du Dom, je repasse par la Haupt­markt enva­hie de monde, fié­vreuse, entre dans Fleischs­traße (rue de la viande) et m’a­ven­ture jus­qu’à une bou­lan­ge­rie où j’a­chète bret­zels encore tout chauds, mar­zi­pans­tol­len et apfel­stru­del à empor­ter, mais je mets tel­le­ment de temps à choi­sir que j’ai l’im­pres­sion que son flegme alle­mand com­mence à bouillir sous son tablier bava­rois de pacotille.

Il fait encore beau pour un mois d’oc­tobre, le temps est même excep­tion­nel­le­ment doux pour la sai­son. Dans quelques semaines à peine, la région sera recou­verte par la neige et res­sem­ble­ra peut-être un peu à l’i­mage tra­di­tion­nelle qu’on se fait de l’Al­le­magne. Je n’ai pas vrai­ment pris le temps de par­ler avec les gens mais je res­sens plus la bar­rière de la langue qu’à Istan­bul, étran­ge­ment. Ce n’est cer­tai­ne­ment qu’une impres­sion, parce que les heures sont comp­tées, parce que le temps file à une vitesse incroyable. Il est temps pour moi de repar­tir. Je quitte la Haupt­markt et m’en­gouffre dans la der­nière rue dont je retiens le nom ; Wind­straße, la rue du vent qui longe le Dom, comme si on m’in­di­quait la sor­tie, ou peut-être ce qui me pousse à ne jamais res­ter en place, comme une méta­phore du pas­sage incer­tain dans les lieux qui m’ha­bitent et dans les­quels je n’ar­rive jamais à res­ter autant que je le souhaiterais…

A la découverte de Trier (Allemagne) - 098 - Windstraße

Voir les 98 pho­tos de cette jour­née à Trèves sur Fli­ckr.

Read more
Danses prin­cières : Legong au Palais d’Ubud

Danses prin­cières : Legong au Palais d’Ubud

Je crois que je suis arri­vé à Ubud un peu par hasard. Pour­quoi cette ville en par­ti­cu­lier et pas les plages pleines de sur­feurs, bat­tus par les vents et les vagues ? Parce que la mer n’est pas si clé­mente que ça dans cette par­tie du monde et j’ai pré­fé­ré être au cœur de l’île et pou­voir y trou­ver là une base arrière un peu au centre de tout. Quant aux spec­tacles des céré­mo­nies musi­cales, on ne peut vrai­ment arri­ver ici et ne pas se lais­ser hap­per par le charme étrange que dégagent ces orchestres musi­caux jouant du métal­lo­phone dans un rythme endia­blé, avec une rigueur incroyable et pen­dant de longues heures. Pro­me­nez-vous à Ubud le soir et vous ne man­que­rez pas d’en­tendre les orchestres jouer dans la fièvre et le moi­teur des ténèbres.

Le Palais d’U­bud est réel­le­ment cen­tral dans la ville, au car­re­four où l’on trouve le mar­ché, l’an­cien office du tou­risme qui est en train de tom­ber en ruine, et le musée d’art moderne. On hési­te­rait presque à y entrer, car on voit bien que l’en­ceinte com­prend des bâti­ments où doivent vivre des notables. J’ai cher­ché des infor­ma­tions sur cette enceinte, mais je n’ai rien trou­vé de per­ti­nent. Il me sem­blait pour­tant avoir lu quelque part qu’un sul­tan vivait là, même si son pou­voir était par­fai­te­ment réduit et dilué dans une démo­cra­tie nais­sante éten­due entre dix-sept mille îles sur plus de 6 000 kilomètres.

On s’é­ton­ne­ra de la taille rela­ti­ve­ment réduite de ce bâti­ment qu’on appelle palais, car rien ne le dis­tingue réel­le­ment des autres mai­sons du centre, si ce n’est qu’on trouve à son entrée deux gardes de pierre, deux monstres vêtus de sarong et d’un mor­ceau de tis­su noué autour de la tête. Les étoffes changent a prio­ri tous les jours. Par­tout sur les murs, ce ne sont que têtes de monstres gri­ma­çants, singes riant, corps de femmes sur­mon­tés d’un visage hor­rible, tirant une langue déme­su­rée retom­bant sur une poi­trine opu­lente, dra­gons aux doigts ouverts en éven­tail, bêtes étranges des­cen­dant des murs la tête en bas. Tout un monde oni­rique et terrifiant.

Le soir venu, c’est dans ce décor prin­cier que prennent vie des ombres assises sur le sol der­rière leurs impo­sants ins­tru­ments. Com­po­sés de lames de métal épais, des hommes en uni­formes clin­quants, sarongs et tis­su noué sur la tête, com­mencent à cares­ser bru­ta­le­ment les touches avec mailloches et autres tiges de bois dans une symé­trie abso­lu­ment par­faite. Rien ne dépasse jamais.

Les femmes, sublimes dan­seuses vêtues d’or et de fleurs tres­sées, avancent dans une cho­ré­gra­phie raf­fi­née, mou­vant leurs doigts dans des convul­sions exta­tiques et fai­sant prendre à leur visage les plus étranges expres­sions, pas­sant dans la seconde de la crainte la plus sombre à la joie extrême. Le rire et les larmes passent sur leur visage magni­fique, car ces femmes ont la par­ti­cu­la­ri­té, en dehors du fait qu’elles soient maquillées et apprê­tées pour l’oc­ca­sion, d’être vrai­ment très belles. Leur visage est d’une beau­té stu­pé­fiante et leur grâce fait d’elles de réelles déesses empreintes d’un savoir qui ne se per­pé­tue qu’i­ci, sur l’île des Dieux.

Voi­ci à nou­veau un car­net sonore datant de février 2014, accom­pa­gné de pho­tos plus belles que je n’au­rais pu les prendre et d’une vidéo mon­trant réel­le­ment en quoi consiste le Legong bali­nais, une vidéo bien mieux mon­tée que je n’en suis capable… En route pour le Legong.

Legong - 1934 - Anna Northcote (Severskaya), Private Collection

Dan­seuses de Legong — 1934 — Anna Nor­th­cote (Severs­kaya), Pri­vate Col­lec­tion — Sur le site de Michelle Pot­ter

Danseuse de Legong au Palais d'Ubud

Dan­seuse de Legong au Palais d’U­bud — Pho­to © Jorge Dal­mau

Danseur de Legong à Ubud - Photo © Matt Palsh

Dan­seur de Legong à Ubud — Pho­to © Matt Palsh

Danseuse de Legong - Photo © Alberto

Dan­seuse de Legong — Pho­to © Alber­to

Read more
La terre rouge et les arbres égorgés

La terre rouge et les arbres égorgés

Paul Morand revient de Tom­bouc­tou, dans une France des colo­nies où l’ouest de l’A­frique n’est plus qu’une annexe fran­çaise, rava­gée par les mala­dies et la pire d’entre toutes : l’ex­ploi­ta­tion à tous les niveaux… Qu’il s’en désole ou pas, Morand pro­fite de ces trois mois de voyage sou­vent incon­for­table — on s’ha­bille tout de même tout de blanc pour les soi­rées chaudes chez les admi­nis­tra­teurs des régions fran­çaises —, il revient en pas­sant par la Côte-d’I­voire aux pré­misses de mars et s’é­mer­veille de la végé­ta­tion, pour­tant vic­time de ce qui res­semble à une catas­trophe éco­lo­gique. Il y a presque cent ans… Témoi­gnage d’un autre temps, tout en prose enlevée :

L’eau et le feu sont ce que j’aime le mieux au monde. Rivières noires, lourdes d’un liquide fon­cé, cou­leur de révé­la­teur pho­to­gra­phique et, en tra­vers, des cadavres d’arbres noyés. Bar­rages de jonc, filets d’herbes tres­sées pour prendre les pois­sons. Feux. Les indi­gènes ne défrichent pas à la hache comme nous, ni à la dyna­mite, comme les Cana­diens, mais sur­tout au feu. Au pied des arbres, ils allument des feux et bien­tôt la moelle brûle à l’in­té­rieur, et les fro­ma­gers, les aca­jous de vingt mètres se trans­forment en hauts four­neaux. On voit la fumée sor­tir par le faîte, comme d’une che­mi­née. Pour élar­gir la route, on en a abat­tu beau­coup. Beau­coup trop. Quelle dif­fé­rence avec les étroites per­cées de la forêt cam­bod­gienne ! Quels décombres végé­taux ! On dirait une catas­trophe de che­min de fer, des camions ren­ver­sés dans un fos­sé, des crânes de dino­saures, des ruines antiques (car beau­coup de racines étant aériennes, les troncs sont cou­pés à quatre ou cinq mètres au-des­sus du sol). Feuilles brû­lées, bana­niers cal­ci­nés et les feuilles jau­nies, retom­bées autour d’eux comme des robes à volants défraî­chis. Arbres égor­gés, abat­tus dans les bras d’autres arbres qui les retiennent, sus­pen­dus au-des­sus du vide. Par­fois avec toutes leurs racines en l’air et une tonne de terre rouge qui pend comme de la chair. On voit dans le sol les grandes cica­trices qu’ils ont lais­sés, en s’en arrachant.

Paul Morand, in Paris-Tom­bouc­tou, 1928.
Robert Laf­font, col­lec­tion Bouquins.

Pho­to d’en tête ©

Read more