De l’in­con­vé­nient, cette fois-ci, de ne pas lire les pré­faces, notices biblio­gra­phiques et autres notes de bas de page

De l’in­con­vé­nient, cette fois-ci, de ne pas lire les pré­faces, notices biblio­gra­phiques et autres notes de bas de page

J’ai pris mon bain avec Charles de Fou­cauld. Si le pauvre homme enten­dait ça, il se retour­ne­rait dans sa tombe, lui qui a pas­sé sa vie dans le désert à vivre dans la parole de Dieu. D’au­tant que le petit livre que j’é­tais en train de feuille­ter s’ap­pelle en toute sim­pli­ci­té « Désert ». Le lire dans mon bain est une manière de ne pas se dessécher.
Encore une fois, les textes sont la matière noble, mais les voir enro­bés de pré­faces, post­faces, notices, notices biblio­gra­phiques, notes et notes de bas de page, adden­da et ex libris, est un bon­heur dont j’ai du mal à ne pas me repaître. Je par­le­rai plus lon­gue­ment de ce livre qui n’est en réa­li­té que la suda­tion d’un ouvrage extra­or­di­naire, quelques entrées spi­ri­tuelles du Dic­tion­naire toua­reg-fran­çais écrit par le Père Charles Eugène de Fou­cauld de Pont­briand, écrit dans le Hog­gar saha­rien et publié en quatre volumes par l’Im­pri­me­rie Natio­nale avec le concours du gou­ver­ne­ment géné­ral de l’Al­gé­rie en 1952.

Charles de Foucauld

Pré­fa­cé et anno­té par le pro­fes­seur au Col­lège de France Car­lo Osso­la, voi­ci un extrait et sa note de bas de page d’une pure­té par­faite et qui m’emmène encore sur de nou­veaux che­mins. Ces entrées de dic­tion­naire me font pen­ser aux mots des­sé­chés, arides, à cette prose de l’ur­gence et de la mort qui font de l’ouvrage de Michel Vieu­change, in Smar­ra, une des plus belles ful­gu­rances qu’il m’ait été don­né de lire.

Joindre, se joindre aux nuits, aux jours, aux bruits des cara­vanes, aux chants de l’a­mour, aux vents du désert, aux cou­leurs des sables : « tada­rout sf. […] || air (vent insen­sible) ; faible cou­rant  (faible mou­ve­ment de l’air dans une direc­tion) || sign., en par­lant de l’ex­té­rieur, un vent à peine per­cep­tible, qui ne remue presque pas l’air et qui n’a­gite pas les feuilles ; et en par­lant de l’in­té­rieur d’une mai­son, sign. le faible cou­rant d’air qui s’é­ta­blit dans un appar­te­ment quand on ouvre des fenêtres qui se font face, sans qu’il y ait de vent au-dehors. La tada­rout est tou­jours quelque chose de doux et d’a­gréable » ; mede­rouer vn. […] || briller d’un beau jaune (être brillant d’un beau jaune) || peut avoir pour sujet des per­sonnes, des ani­maux ou des choses || se dit, p. ex., d’une per­sonne dont le teint est d’une belle cou­leur vieil ivoire, d’un ani­mal ale­zan1, d’un oiseau à plu­mage jaune, d’un objet d’or ou de lai­ton, d’un tis­su, d’un peau, d’un objet quel­conque qui sont d’un beau jaune, de blés, d’orges, de citrons, de gre­nades, de fleurs d’une belle cou­leur jaune, etc. ; se dit aus­si d’une p., d’un an., d’une ch., d’un lieu, qui sont cou­verts ou rem­plis de ch. brillant d’un beau jaune, p. ex. d’une p. habillée de faune, d’un végé­tal cou­vert de fleurs jaunes ou de fruits jaunes, d’un pays cou­vert de blés mûrs, d’une région dont les végé­taux sont de cou­leur jaune ou char­gés de fruits jaunes ou de fleurs jaunes, etc. || être brillant (de beau­té) ; être étin­ce­lant (de beau­té) || p. ext. “être brillant (d’or­ne­ments ; de cou­leurs vives et variées) ; être étin­ce­lant (d’or­ne­ments ; de cou­leurs vives et variées)” ».

1. Ces défi­ni­tions sont proches de cer­tains vers des poèmes recueillis dans les Chants toua­regs : « Je longe, sur ma cha­melle ale­zan doré, les col­lines iso­lées de cou­leur crème / peu éle­vées qui sont en deçà du lit de la val­lée ; / je veux arri­ver à la chute du jour dans la val­lée en amont des têhaq » (« Éme­ghei ägg Oûragh » [Ibet­te­nâ­ten, 1880–1906], Hâte d’ar­ri­ver près des femmes aimées [1905], in Charles de Fou­cauld, Chants toua­regs, intro­duc­tion de Domi­nique Casa­jus, Paris , Albin Michel, 1997, p. 288.

Charles de Fou­cauld, Désert
Rivages poche / Petite biblo­thèque, 2013

Pho­to d’en-tête © Bri­gitte Djajasasmita
(Hog­gar, en arabe جبال هقار et en toua­reg Idu­rar Uhag­gar, Algé­rie)

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De l’in­con­vé­nient de ne pas lire les notes en fin d’ouvrage…

De l’in­con­vé­nient de ne pas lire les notes en fin d’ouvrage…

C’est un autre uni­vers, en marge de l’é­cri­ture de l’au­teur, une case à part, une malle un peu fourre-tout par­fois déce­vante lorsque l’on y trouve que des réfé­rences tech­niques qui ne font que nous bar­ber ou nous endor­mir au mieux, qui ne sont bonnes que pour celui qui, plus avant, sou­haite faire des recherches appro­fon­dies et qui sont autant d’obs­tacles à la lec­ture « plai­sir ». Pour­tant, par­fois, je me lance dans la lec­ture des notes avant de com­men­cer le livre et je dois avouer que c’est un monde d’une richesse incroyable. Rien n’y est ordon­né et on navigue sou­vent entre des notions qu’on ne maî­trise abso­lu­ment pas tant qu’on n’a pas lu le texte à pro­pre­ment par­ler. Ce que j’aime sur­tout dans ces notes, c’est l’ab­sence totale de for­ma­lisme, la pos­si­bi­li­té que se laisse l’au­teur de ne plus rien construire et de livrer un texte brut, rem­pli d’abréviations et de sigles. En revanche, force est de consta­ter que si les notes consti­tuent un uni­vers conden­sé, le texte, lui, est sou­vent beau­coup plus délayé.
Edgar Allan Poe écri­vait dans les marges de ses livres, recueillant ain­si la sub­stance de ses lec­tures ; ces Mar­gi­na­lia ont été publiées il y a quelques années aux édi­tions Allia. Des frag­ments qui sont comme la pen­sée brute de l’au­teur, sa face cachée et plus sombre encore. Enrique Vila-Matas quant à lui, a écrit un livre il y a quelques années, Bart­le­by & cie, un livre uni­que­ment com­po­sé de notes de bas de pages, une ency­clo­pé­die dont il ne res­te­rait que la moelle, dépouillée de son texte, de l’i­nu­tile et de l’in­cer­tain, pari pas­ca­lien et lit­té­raire. Livre des agra­phiques et des écri­vains du non, cette petite pépite fait office d’ob­jet lit­té­raire non identifié.
Quant à moi, je conti­nue à lire cer­tains livres par la fin, en éplu­chant les notes avant de lire le texte, et je m’en satis­fais très bien.

Dans ce livre que je viens de com­men­cer, Quat­tro­cen­to de Ste­phen Green­blatt, dans lequel il est ques­tion d’un cer­tain Pog­gio Brac­cio­li­ni, un huma­niste flo­ren­tin dont le nom fran­ci­sé est Le Pogge sur­tout connu pour avoir déter­ré des éta­gères pous­sié­reuses d’un monas­tère per­du un des plus beaux textes de l’An­ti­qui­té romaine : De rerum natu­ra, le très beau poème de Lucrèce. Voi­ci ce qu’on trouve dès la qua­trième note du pre­mier chapitre :

De la nature, V, v. 737–740, op. cit., p. 355. Le « mes­sa­ger ailé » de Vénus est Cupi­don, que Bot­ti­cel­li repré­sente les yeux ban­dés, et poin­tant sa flèche ailée ; Flore, la déesse romaine des fleurs, sème des pétales ras­sem­blés dans les plis de sa robe exquise ; et Zéphyr, le dieu du vent d’ouest fer­tile, étreint la nymphe Chlo­ris. Concer­nant l’in­fluence de Lucrèce sur Bot­ti­cel­li, par l’in­ter­mé­diaire de l’hu­ma­niste Poli­zia­no, voir Charles Demp­sey… etc.

Alors on peut tou­jours faire l’é­co­no­mie des notes de bas de page ou des notes de fin d’ou­vrage ; le texte n’en demeure pas moins com­pré­hen­sible. Sim­ple­ment, on évite le détail, la spé­ci­fi­ca­tion. Pire, on pour­rait pas­ser à côté d’une infor­ma­tion importante.
Je me dis qu’en lisant ces notes j’ai appris qu’un homme du XVè siècle, secré­taire d’un anti­pape, un réprou­vé à qui les Médi­cis ont fait l’hon­neur de com­man­der un superbe mau­so­lée qu’on peut voir aujourd’­hui dans le bap­tis­tère Saint-Jean de Flo­rence, l’an­ti­pape Jean XXIII (je ne savais même pas ce qu’é­tait un anti­pape…), j’ai appris donc que cet homme bat­tait la cam­pagne, bra­vant le mau­vais temps et les détrous­seurs de grands che­min pour retrou­ver les objets de l’An­ti­qui­té qui pour­ris­saient sur les éta­gères des monas­tères les plus recu­lés et que sans la décou­verte du poème de Lucrèce, Bot­ti­cel­li n’au­rait peut-être jamais peint Le prin­temps, un des plus beaux tableaux et des plus connus de la Renaissance.
Fina­le­ment, la curio­si­té ne tient pas à grand-chose…

Le printemps - Sandro Botticelli

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Salaam Lon­don de Tar­quin Hall, le voyage intérieur

Salaam Lon­don de Tar­quin Hall, le voyage intérieur

Ça com­mence comme une longue plainte et le livre s’ouvre tout dou­ce­ment. Salaam Lon­don (Salaam Brick Lane en anglais, allez savoir pour­quoi les édi­teurs veulent tou­jours tra­duire les titres…) est un livre qui s’en­tend d’a­bord comme un livre de l’an­goisse, de la dif­fi­cul­té de son auteur, Lon­do­nien de nais­sance, à retour­ner dans sa ville après avoir vécu quelques temps en Inde et sur­tout de s’y retrou­ver. Ce récit du retour dou­lou­reux, de l’at­tente dans laquelle le jour­na­liste Tar­quin Hall s’ins­talle, dans l’es­poir de faire venir la femme qu’il aime dans la méga­pole est un récit qui avance à tâtons dans le brouillard de Brick Lane. Les loyers ont flam­bé lors­qu’il retourne chez lui et il n’y a que dans l’East End que l’au­teur peut s’ins­tal­ler à nou­veau sans trop s’ex­cen­trer et c’est à contre-cœur qu’il loue une man­sarde miteuse à un Ban­gla­dais cyclo­thy­mique et alcoo­lique. C’est alors toute une palette de per­son­nages et de lieux aty­piques qu’on découvre sous sa plume ; le livre prend un tour­nure étrange puis­qu’il devient le récit de voyage d’un Lon­do­nien dans sa propre ville, une ville dans la ville, un quar­tier ten­du comme un élas­tique et pris dans ses pro­blé­ma­tiques de diver­si­té cultu­relle : cock­neys, skin­heads, Ban­gla­dais, Juifs, Irlan­dais, Ben­ga­lis, reje­tons de l’empire bri­tan­nique en décom­po­si­tion, tous se côtoient sans pour autant se mélan­ger, dans la droite ligne du grand récit d’in­ves­ti­ga­tion de Jack Lon­don, Le peuple d’en-bas et sur fond de réha­bi­li­ta­tion du tris­te­ment célèbre quar­tier de Whi­te­cha­pel. En dépit des ami­tiés impro­bables que Tar­quin Hall noue dans le quar­tier, il cherche tout de même à en sor­tir, même s’il y découvre une vie insoup­çon­née. C’est à mon sens un beau récit, tendre et sans conces­sion, un récit qui prend aux tripes parce qu’on y res­sent toute l’af­fec­tion qui s’empare de lui pour ce quar­tier en déshé­rence mais tout de même vic­time de l’i­né­vi­table gen­tri­fi­ca­tion, ces dents creuses, mais aus­si le rejet com­pré­hen­sible qui le pousse à en sor­tir. C’est le récit de l’é­tran­gè­re­té, du déra­ci­ne­ment de soi chez soi, de la condi­tion de l’é­tran­ger de l’in­té­rieur, un récit qui fait écho à la condi­tion nomade, à la décons­truc­tion per­pé­tuelle de soi dans l’ab­sence de repé­rage et de volon­té de res­ter. Toute l’es­sence de ce récit de l’ombre tient en ces quelques phrases de l’auteur :

Je pus jeter ici un bref coup d’oeil sur les par­quets lui­sants et les murs de brique nus des lofts réno­vés. Mais on voyait sur­tout des mai­sons mitoyennes déla­brées datant du règne de la reine Vic­to­ria, par les fenêtres noir­cies des­quelles on aper­ce­vait des cui­sines minus­cules. Dans des cen­taines d’im­meubles minables, des immi­grants comme le Grand Sasa et Mrs Abdul-Haq pré­pa­raient leur dîner en rêvant d’a­voir une mai­son à eux et en s’ef­for­çant de tirer le meilleur par­ti d’une vie misé­rable. Même au XXIè siècle, l’East End mon­trait peu de signes de chan­ge­ment et contrai­gnait des gens de cultures radi­ca­le­ment dif­fé­rentes à vivre côte à côte et à s’a­dap­ter les uns aux autres.
« Entrez affa­mé, sor­tez bran­ché », pro­cla­mait un pan­neau que j’a­vais repé­ré ce matin-là à Brick Lane, sur la vitrine d’un nou­veau café à la mode. Mieux que tout le reste, ce slo­gan parais­sait résu­mer l’ex­pé­rience que fai­saient les immi­grants de l’East End — et que j’a­vais faite aussi.
Brick Lane m’a­vait for­cé à m’ac­com­mo­der d’un Londres que je n’a­vais jamais connu et m’a­vait aidé à com­prendre que Barnes n’é­tait plus pour moi. Je me sen­tais à pré­sent plus en accord avec mon envi­ron­ne­ment que je ne l’a­vais été lorsque je vivais en étran­ger immer­gé dans d’autres cultures. Et pour cela, je res­sen­tais une immense gra­ti­tude. Mais au moment où le train pas­sait devant les immeubles ruti­lants de Cana­ry Wharf et entrait dans un bruit de fer­raille en gare de Liver­pool Street, je me deman­dais si je me sen­ti­rais de nou­veau tout à fait chez moi à Londres, si je serais encore capable de vivre déten­du , d’as­su­mer confor­ta­ble­ment mon sta­tut d’Anglais.
Peut-être res­te­rais-je tou­jours un peu étran­ger ? Peut-être n’é­tait-ce pas le pire sta­tut qui soit ?

Tar­quin Hall, Salaam Lon­don
Folio col­lec­tion Voyages
Gal­li­mard 2007

Pho­to d’en-tête © Richer Fischer (Mor­ning in Whitechapel)

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« Des Égypte de l’esprit »

« Des Égypte de l’esprit »

Sagesse de Ryckmans…

Le fait est que seules les impres­sions acci­den­telles laissent une empreinte durable sur notre sen­si­bi­li­té ; nous ne les avions pas recher­chées — et moins encore, nous n’a­vions réser­vé à cette fin une place dans un tour orga­ni­sé. Comme le disait à peu près E. M. Fors­ter, la mémoire ne retient vrai­ment que ce que l’on a sai­si de biais. Il y aus­si des Égypte de l’es­prit ; et en fin de compte, c’est peut-être le hasard des lec­tures et des notes mar­gi­nales qui per­met encore le mieux d’é­chap­per à leur aridité.

Simon Leys, Mar­gi­nales,
in Le bon­heur des petits pois­sons, Lettres des antipodes
JC Lat­tès, 2008

Image d’en-tête : Colonnes du temple d’Ed­fu. Litho­gra­phie colo­ri­sée par Louis Haghe d’a­près David Roberts, 1846

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L’empire du laid… et de l’ignorance

L’empire du laid… et de l’ignorance

Jean-Pierre Filiu a rai­son et per­sonne ne doit perdre cela de vue : les des­truc­tions de Daech dans le musée de Mos­soul ont deux voca­tions. La pre­mière est de géné­rer un tra­fic d’œuvres d’art dont les recettes sont juteuses. La seconde est un outil de pro­pa­gande. Voi­ci ce qu’il dit dans une inter­view don­née à Libé :

Bien sûr, ces des­truc­tions font par­tie de leur pro­pa­gande. Leur mes­sage est clair : «Regar­dez, quand des musul­mans sont tués, per­sonne ne bouge, il n’y a aucune réac­tion. Mais dès que l’on tue des otages occi­den­taux ou que l’on détruit des sta­tues, tout le monde s’indigne.»

On s’in­digne de la des­truc­tion de ces œuvres car les auteurs de ces crimes paraissent encore plus bes­tiaux que lors­qu’ils mas­sacrent n’im­porte qui sans dis­cer­ne­ment. Dans cette niche se tapit notre impos­si­bi­li­té à réagir face à la plus sombre des tyran­nies et c’est toute une chape de plomb qu’on fait cou­ler sur les mil­liers de morts dont se rend cou­pable l’or­ga­ni­sa­tion isla­mique. Mais ce n’est pas pour autant qu’on doit fer­mer les yeux lorsque des êtres humains qui n’ont jamais mis les pieds dans un musée y pénètrent pour tout sac­ca­ger. Per­son­nel­le­ment, ce qui m’in­ter­roge, c’est cet élan qui rase tout sur son pas­sage, qui n’a pour but que faire table rase du pas­sé et extir­per les popu­la­tions de leurs repères, dans lequel on ne peut voir (en dehors de la plus crasse des imbé­ci­li­tés) que la volon­té de domi­na­tion des peuples. En rasant leur his­toire, on rase leur pas­sé et on modi­fie leur ave­nir. Les peuples n’ont plus voca­tion qu’à deve­nir les ins­tru­ments de tarés congé­ni­taux qui ne pensent qu’à domi­ner le monde par les armes, au nom d’un Dieu des écrits qu’ils n’ont peut-être fait qu’ap­prendre par cœur, sans dis­cer­ne­ment, sans cri­tique. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose.

Hier soir, je lisais un texte court de Simon Leys, paru dans le Maga­zine Lit­té­raire (L’empire du laid, in Le bon­heur des petits pois­sons) il y a une dizaine d’an­nées et qui sous cou­vert d’être un tan­ti­net humo­ris­tique m’a appor­té un éclai­rage nou­veau qui n’est peut-être pas loin de dire quelque chose de vrai, et de surprenant :

Les vrais phi­lis­tins ne sont pas des gens inca­pables de recon­naître la beau­té — ils ne la recon­naissent que trop bien, ils la détectent ins­tan­ta­né­ment, et avec un flair aus­si infaillible que celui de l’es­thète le plus sub­til, mais ce n’est pas pour pou­voir fondre immé­dia­te­ment des­sus de façon à l’é­touf­fer avant qu’elle ait pu prendre pied dans leur uni­ver­sel empire de la lai­deur. Car l’i­gno­rance, l’obs­cu­ran­tisme, le mau­vais goût, ou la stu­pi­di­té ne résultent pas de simples carences, ce sont autant de forces actives, qui s’af­firment furieu­se­ment à chaque occa­sion, et ne tolèrent aucune déro­ga­tion à leur tyran­nie. Le talent ins­pi­ré est tou­jours une insulte à la médio­cri­té. Et si cela est vrai dans l’ordre esthé­tique, ce l’est bien plus encore dans l’ordre moral. Plus que la beau­té artis­tique, la beau­té morale semble avoir le don d’exas­pé­rer notre triste espèce. Le besoin de tout rabais­ser à notre misé­rable niveau, de souiller, moquer, et dégra­der tout ce qui nous domine de sa splen­deur est pro­ba­ble­ment l’un des traits les plus déso­lants de la nature humaine.

Ce serait donc bien dans ce qui dif­fère des repré­sen­ta­tions de son propre obs­cu­ran­tisme que se cache­rait cette navrante vague iconoclaste…

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