Retour à Ech­ter­nach, patrie de Saint Willibrord

Retour à Ech­ter­nach, patrie de Saint Willibrord

Une simple pho­to un peu jau­nie de moi sur les marches du cal­vaire, sur la Grand Place d’Ech­ter­nach, prise par mon grand-père. Nous sommes, il me semble, en 1985. Il fau­drait que je m’en assure en retrou­vant l’ordre chro­no­lo­gique des pho­tos. 2014, c’est mon fils qui va sur ses douze ans, à peu près l’âge que j’ai sur la pho­to, qui monte sur le cal­vaire. Hasard heu­reux dont je ne me rends compte qu’une fois reve­nu et lorsque je regarde les pho­tos que mon grand-père avait prises à l’é­poque. Culottes courtes, gilet croi­sé, chaus­settes blanches, raie sur le côté ; je me rends compte à quel point je n’é­tais déjà plus du tout dans l’air du temps. Fina­le­ment, j’au­rais pas­sé ces qua­rante der­nières années de ma vie en décalage.

Calvaire Echternach

Romuald au pied du cal­vaire d’Echternach

Ech­ter­nach (Iech­ter­nach en luxem­bour­geois, Eech­ter­noach ou Iech­ter­noach en dia­lecte) est une petite ville d’à peine 5000 habi­tants, nichée dans un repli de la Sûre (D’Sauer) qui fait la fron­tière avec l’Al­le­magne. De l’autre côté du pont, Ech­ter­na­cher­brück, Deut­schland.
Nous sommes à une tren­taine de kilo­mètres de Luxem­bourg, à peine 25 de Trier (Trèves) en Alle­magne. La ville en elle-même n’a pas beau­coup d’at­trait, c’est une ville de moyenne impor­tance, une sorte de poste-fron­tière qui ne res­semble plus beau­coup à ce qu’elle était du temps de sa splen­deur. La Grand Place et la Place du Mar­ché (Markt­platz), mais éga­le­ment l’hô­tel de ville, le Ding­stuhl (ou Den­zelt, ins­tance admi­nis­tra­tive et judi­ciaire), témoigne de la puis­sance pas­sée de la ville. La pré­sence du culte de Saint Willi­brord, saint patron du Luxem­bourg et de la basi­lique fon­dée sur la crypte où il repose est en outre un sym­bole cultu­rel iden­ti­taire fort pour les Luxembourgeois.

Echternach (Luxembourg) - 05 - Eglise Saints Pierre et Paul

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Eglise Saints Pierre et Paul

Echternach (Luxembourg) - 07 - Eglise Saints Pierre et Paul

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Eglise Saints Pierre et Paul

Dans cette petite ville tran­quille, loin des lieux tou­ris­tiques, se trouve une petite église, per­chée en haut d’un rocher et à laquelle on accède par une volée d’es­ca­liers mous­sus. A l’in­té­rieur de l’é­glise Saints Pierre et Paul, entre sobrié­té et poly­chro­mie, on trouve une atmo­sphère calme et colo­rée. Les vitraux modernes dif­fusent une lumière douce et les pein­tures des murs sont peintes dans un style très alle­mand, dans des poly­chro­mies qui donnent une bonne idée de la manière dont était déco­rées les églises naguère. Je reste quelques ins­tants dans ce lieu un peu per­ché, un peu à mi-hau­teur entre les hommes et les dieux, sans être déran­gé par qui que ce soit. Un fes­ti­val a lieu ici tous les ans, un fes­ti­val de musique clas­sique ; l’a­cous­tique semble parfaite.

Echternach - Église Saints Pierre et Paul

Ech­ter­nach — Église Saints Pierre et Paul

Echternach (Luxembourg) - 10 - Rue des écoliers - Shullergaas

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Rue des éco­liers — Shullergaas

Echternach (Luxembourg) - 11 - Place du marché

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Place du marché

En sor­tant de l’é­glise, j’emprunte la rue des éco­liers (Shul­ler­gaas) pour rejoindre la Place du Mar­ché où se trouve le Ding­stuhl. Sur la jolie place se trouve une fon­taine fleu­rie et l’on trouve encore ici quelques arcades sur cette place pavée. La Grand Place, elle, laisse entre­voir ce que pou­vait être la vie de cette ville ne serait-ce qu’au début du XXè siècle.

C’est ici que je retrouve le cal­vaire au pied duquel j’ai été pris en pho­to. Depuis cette rue remonte la rue de la Gare, gare qui n’existe plus depuis sa des­truc­tion en 1974. Le der­nier train de la Sauer­linn (ligne de la Sûre) est par­ti de la gare d’Ech­ter­nach en 1964. Aujourd’­hui, c’est une gare rou­tière qui occupe son ancien empla­ce­ment. Dans cette rue, c’est une longue suc­ces­sion de com­merces, de res­tau­rants aux enseignes par­fois peintes pas tous ouverts, de petits maga­sins de vête­ments, de tabacs que les Alle­mands fron­ta­liers viennent enva­hir à cause du prix du tabac beau­coup plus inté­res­sant que chez eux. La rue se ter­mine par un por­tique, puis par la gare rou­tière, au bord de la Sûre ; un immense par­king attend le pas­sage des cars qui par­courent la région. C’est appa­rem­ment le ren­dez-vous des mar­gi­naux des envi­rons, punks à chiens, clo­chards errants, alcoo­liques que se cachent dans ce lieu d’é­change, entre errance et no man’s land. Un type aux che­veux longs, canette de bière à la main, m’at­tend à la sor­tie des toi­lettes publiques de la gare ; il avait juste envie de par­ler, ce que je fais de bonne grâce.

Echternach (Luxembourg) - 17 - Basilique Saint Willibrord

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Basi­lique Saint Willibrord

Echternach (Luxembourg) - 18 - Basilique Saint Willibrord

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Basi­lique Saint Willibrord

Echternach (Luxembourg) - 23 - Basilique Saint Willibrord - Pierre Richardot

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Basi­lique Saint Willi­brord — Pierre Richardot

Echternach (Luxembourg) - 24 - Basilique Saint Willibrord - Ange et suaire de Véronique, Atelier de Trèves

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Basi­lique Saint Willi­brord — Ange et suaire de Véro­nique, Ate­lier de Trèves

Je remonte la rue pour reve­nir sur la basi­lique Saint Willi­brord qui date du XIè siècle, bâtie sur une église caro­lin­gienne dont la crypte est l’u­nique ves­tige ; c’est ici qu’au­jourd’­hui se trouve le céno­taphe conte­nant les restes du saint pro­tec­teur du Luxem­bourg. C’est une immense bâtisse aus­tère, dans un style roman clas­sique qui ne date que de 1868, et si elle a été détruite en 1944, elle a par la suite été recons­truite à l’i­den­tique et la façade est direc­te­ment ins­pi­rée de celle de Paray-le-Monial. L’in­té­rieur est un inté­rieur de basi­lique inté­grée à une abbaye béné­dic­tine, c’est-à-dire fon­ciè­re­ment aus­tère. Des cartes pos­tales anciennes datant du début du XXè siècle montrent que l’in­té­rieur a été déco­ré de poly­chro­mies et de motifs géo­mé­triques. Aujourd’­hui, tout a dis­pa­ru pour lui rendre un aspect conven­tion­nel. Si le sar­co­phage de Willi­brord a été conser­vé intact, c’est parce que mal­gré l’ef­fon­dre­ment de la basi­lique et le bom­bar­de­ment qui l’a mise à terre, la crypte a été mira­cu­leu­se­ment épar­gnée. Le céno­taphe a été remon­té dans le chœur après sa res­tau­ra­tion en 1868, puis redes­cen­du dans la crypte après la consé­cra­tion suite à la res­tau­ra­tion en 1953. Un petit musée situé dans la sacris­tie me fait m’ar­rê­ter devant deux pièces superbes : Un sta­tue pour le monu­ment de Pierre Richar­dot et un ange et suaire de Véro­nique datant de la fin du XVè siècle réa­li­sé dans l’a­te­lier de Trèves.

Si la ville demeure impor­tante par la consé­cra­tion de Saint Willi­brord comme saint pro­tec­teur du pays, elle est aus­si connue pour sa pro­ces­sion dan­sante, ins­crite sur la liste repré­sen­ta­tive de l’hé­ri­tage cultu­rel imma­té­riel de l’hu­ma­ni­té de l’U­NES­CO. Cette pro­ces­sion, si elle consacre le fait reli­gieux, s’est trou­vé for­te­ment contes­tée par l’Église qui y voyait autre­fois une réma­nence de culte païen. Elle est aujourd’­hui par­fai­te­ment inté­grée à la vie reli­gieuse et cultu­relle de la ville, ras­sem­blant tous les ans plus de 13000 pèle­rins. Cette pro­ces­sion dan­sante se fait dans toute la ville et sa par­ti­cu­la­ri­té réside dans le fait que les dan­seurs sont reliés entre eux par des fou­lards blancs, bro­dés aux armoi­ries de la ville. Le carac­tère jubi­la­toire et dan­sant de cette pro­ces­sion en fait un objet d’é­tude eth­no­gra­phique fas­ci­nant qui la fait remon­ter à un temps immémorial.

Le matin, en arri­vant, je me suis arrê­té dans une supé­rette à l’en­trée de la ville ; c’est ici que j’en­tends pour la pre­mière fois une langue jamais enten­due jusque là. A la caisse, un couple de jeunes s’ex­prime dans cette langue dont on a peine à s’i­ma­gi­ner qu’elle est une vraie langue ; le luxem­bour­geois (lëtze­buer­gesch). Peut-être même est-ce ce dia­lecte d’Ech­ter­nach et qui semble rou­ler sous la langue… ? Je quitte la ville dans cette atmo­sphère un peu mys­tique dont je m’en­robe, immer­gé dans les lieux de spi­ri­tua­li­té et je file vers Vian­den, en frô­lant la fron­tière, en la tra­ver­sant plu­sieurs fois, encore une fois.

Echternach (Luxembourg) - 25 - Rue du Pont

Ech­ter­nach (Luxem­bourg) — Rue du Pont

Voir les 25 pho­tos de cette jour­née à Ech­ter­nach sur Fli­ckr.

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