Jour­nal de bord période #6

Jour­nal de bord période #6

Lun­di 3 novembre

Le dos contrac­té, le bas­sin qui com­mence à gri­gno­ter, à cra­quer dans tous les sens. Ren­dez-vous avec mon ostéo­pathe qui sait com­ment par­ler à mon corps, tout se remet en place dou­ce­ment tan­dis qu’elle me demande dou­ce­ment de contra­rier les mou­ve­ments qu’elle me fait faire. Elle prend tou­jours beau­coup de temps à m’ex­pli­quer ce qu’elle a mani­pu­lé en fai­sant l’ef­fort de m’ex­pli­quer le plus sim­ple­ment pos­sible, mais je ne sais pas pour­quoi, je n’é­coute jamais vrai­ment et je me perds dans ses grands yeux ronds.
Je retrouve une déli­cate sou­plesse, glisse dans mon bain chaud, me laisse cares­ser par la mousse qui m’enveloppe.
Ces jours sont des jours de grâce. Je reprends forme, une belle forme. Je ne me rase plus.
Je me sens bien. J’ai un peu peur.

Mar­di 4 novembre

Je me suis remis en quête de lec­tures, de lec­tures per­for­ma­tives. Ava­lé L’i­dée de Jus­tice d’Amar­tya Sen, même pas sen­ti le goût, à peine l’o­deur. For­mi­dable Dedans, dehors : La condi­tion d’é­tran­ger, de Guillaume Le Blanc, que je relis encore et encore, texte plein de pépites, de sidé­ra­tions, d’a­do­rables saillies qui feront date. Engon­cé dans mon cana­pé, pétri de dou­ceur. C’est le moment d’é­cou­ter à nou­veau Alice de Tom Waits. Voix écla­tée à la dyna­mite, phy­sique d’ac­teur déclas­sé, réper­toire dingue, côté un peu cir­cus, ima­gi­na­rium de Paranassus.

[audio:whd.xol]

Last night I drea­med that I was drea­ming of you…

Je suis bien, j’ai pas­sé une belle jour­née, un peu désta­bi­li­sé, chancelant.

I watch you as you disappear

Mer­cre­di 5 novembre

[audio:ish.xol]

Je suis bien, tou­jours. J’ouvre une bière brune irlan­daise sur les coups de 20h00, une bière qui veut imi­ter la Guin­ness sans lui arri­ver à l’ongle du doigt de pied. Il fait frais dehors, une odeur de che­mi­née, de bois brû­lé, de froid dans les arbres nus. La sen­sa­tion nette d’a­voir man­qué quelque chose.
Le nez dans les Inrocks, Guat­ta­ri, Le Blanc, des notes, le fou­toir, Tom Waits, je gri­fouille, gri­bouille, fait n’im­porte quoi par­fois, je pars dans tous les sens, attends que la pluie tombe, que le nez gèle, qu’il se res­sai­sisse, j’en ai à nou­veau toutes les facul­tés, je pleure un peu et tarde à rire, rit pour ne pas trop pleu­rer, recom­mence, tourne trois fois sur moi, et puis plus rien. Je retombe, meilleur moyen pour se rele­ver. J’é­coute the Acid test, Ry X, Mar­co­ni Union, en dépit du bon sens. Tiens, je vais me raser.

Jeu­di 6 novembre

Les jours passent comme des amné­sies suc­ces­sives où j’ai l’im­pres­sion de tout recom­men­cer, de tout remettre en ques­tion, mais ça ne sert à rien, j’ai trop ten­dance à lais­ser filer les moments de bon­heur, imbé­ci­le­ment. Je vou­lais juste être heureux.
Je suis bien.

Ven­dre­di 7 novembre

La semaine de tra­vail a été longue, très longue, entre­cou­pée de moments de grâce. Rasé de près, pas­sé chez le coif­feur, tout vêtu de blanc, je m’offre une nou­velle vir­gi­ni­té. Chan­ger de tête pour oublier un peu et me lais­ser le temps de me faire mal en regrettant.

J’ai repris le lec­ture de Ken­neth Clark sur Léo­nard de Vin­ci, ce qui me fait un bien fou. Tom Waits, en boucle. Je suis bien, je te dis, tout va bien.

Pho­to d’en-tête : Ter­rasse de Saint-Ger­main-en-Laye © Albert

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