La mort d’un lieu­te­nant au champ d’hon­neur, par Vic­tor Boudon

La mort d’un lieu­te­nant au champ d’hon­neur, par Vic­tor Boudon

5 sep­tembre 1914, la guerre a été décla­rée deux mois aupa­ra­vant. La suite on la connaît (enfin, j’es­père) ; des mil­liers de morts, une bou­che­rie sans nom, des hommes qui se battent pour des gens qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne connaissent pas les inten­tions. L’Eu­rope fini­ra exsangue et meur­trie. La France, elle, rava­gée, fera le ter­reau du nazisme en sai­gnant une popu­la­tion alle­mande aux abois et mou­rant de faim.
5 sep­tembre 1914, donc, la guerre vient de com­men­cer. La 19e com­pa­gnie du 276e régi­ment d’in­fan­te­rie (VIe armée Mau­nou­ry) est mobi­li­sée dès le mois d’août et les sol­dats et offi­ciers réser­vistes sont envoyés sur le front, dans la four­naise de ce qu’on appel­le­ra par la suite la Pre­mière Bataille de la Marne, une tue­rie qui dure­ra sept jours com­plets. Un des pre­miers hommes à tom­ber ce pre­mier jour de la bataille est un des offi­ciers, un lieu­te­nant, à la tête d’une colonne de quelques hommes, un homme fier qui tan­çait ses sol­dats en les priant de ne pas céder la moindre par­celle à l’en­ne­mi et l’on sait par la suite que la mémoire de cet homme fut récu­pé­ré par le gou­ver­ne­ment de Vichy pour en faire un mar­tyr natio­nal, lui qui n’é­tait qu’un pauvre bougre qui ne devait cer­tai­ne­ment pas savoir qu’on l’en­ver­rait se faire des­cendre et qui tom­be­ra d’une balle dans le front qui a cer­tai­ne­ment dû stop­per net un geste peut-être trop théâ­tra­li­sé pour être sin­cère. Il ne revien­dra pas chez lui, tué dans les pre­miers ins­tants de cette guerre ter­rible, et ne ver­ra pas son fils qui naî­tra en février 1915.
Cet homme, c’est un de ses sol­dats qui en parle avec des tré­mo­los dans la voix et une fier­té déli­cate d’homme qui a été pris dans le tour­ment et qui ne s’at­ten­dait à voir un homme bien tom­ber aus­si rapi­de­ment, avec cette emphase un peu gouailleuse qu’a­vaient les hommes de cette époque et dont la digni­té s’af­fi­chait sur le plas­tron comme une médaille d’hon­neur, mal­gré quelques dents absentes ou gâtées qu’une fine mous­tache vient à peine voi­ler. Cet homme, c’est Vic­tor Bou­don, qui racon­te­ra les der­niers ins­tants de son lieu­te­nant dans son livre, Mon Lieu­te­nant Charles Péguy.

Non, on n’a pas eu peur, mais la peur est un sen­ti­ment que tout homme connaît, que tout sol­dat connaît, ceux qui vien­dront vous dire je n’ai pas eu peur, mais ils mentent ceux-là…

Charles Péguy ne sera jamais ins­crit au titre des morts de la bataille de la Marne car il est mort le 5 sep­tembre. Le début offi­ciel de cette bataille est le 6 septembre.

Pho­to d’en-tête © 2010 Pré­fec­ture de Paris et d’Ile-de-France

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