Java — jour 3

Ce matin, le réveil sonne à 3h00. Le jour est important.
Cer­tai­ne­ment le plus impor­tant de ce voyage puis­qu’il est consa­cré à la visite de ce monu­ment auquel on pense quand il est ques­tion de l’In­do­né­sie : Boro­bu­dur.
Le mini­bus se pointe 4h00 devant l’hô­tel. Les yeux encore col­lés, je monde dans cette anti­qui­té qui s’a­vé­re­ra ne plus avoir de sus­pen­sions et dont les gaz d’é­chap­pe­ment, sem­ble­rait-il, se dif­fusent direc­te­ment à l’in­té­rieur, rai­son pour laquelle je ferai le voyage la fenêtre ouverte. Pour s’y rendre, il faut comp­ter une heure et demie de route, une route que j’au­rais eu du mal à faire seul.

Peut-être armé d’un GPS, pour­quoi pas, mais conduire ici relève plus du sport que du gen­til tou­risme. La route est très droite, mais chao­tique et mon cul et mon dos semblent s’en sou­ve­nir encore conjoin­te­ment lorsque j’é­voque cette par­tie de cam­pagne. Mal­gré l’heure mati­nale, beau­coup de monde déjà debout, des mos­quées peintes en vert, éclai­rées par des néons criards, trouvent déjà leur clien­tèle en cette pre­mière heure de prière de la jour­née ; nous sommes ven­dre­di, aurait-ce été pareil un autre jour ? Les car­re­fours s’emplissent des mar­chés ambu­lants, de ces petites car­rioles der­rière les vitres des­quelles on trouve du pois­son séché ou des bou­lettes de pou­let qui auront tout loi­sir de tour­ner dès le pre­mier rayon de soleil. On tourne à gauche et après le por­tique sur lequel j’ar­rive vague­ment à dis­tin­guer le nom du temple vers lequel je roule, la route se rétré­cit et je finis par ne plus voir de mai­sons au bord de la route. Seule­ment des arbres et de la végé­ta­tion dense, ruis­se­lante d’hu­mi­di­té. Pour l’ins­tant, on monte vers le mont Setum­bu (pro­non­cer Stoum­bou). La route devient fran­che­ment mer­dique, avec des nids de poule qui aggravent le cas de la sus­pen­sion. A ce rythme là, nous allons ren­trer à vélo, ou en becak… Le brouillard se lève, pour ne rien arran­ger et on n’y voit sou­vent pas à plus de dix mètres.

Nous nous arrê­tons, le chauf­feur nous explique qu’il faut mon­ter après avoir payé un droit d’en­trée (il faut payer par­tout ici, c’est hal­lu­ci­nant) de 30 000 rps (15 000 rps pour les locaux). Dix minutes de mon­tée facile et on y arrive. Sur le som­met de la col­line, on a vue sur toute la val­lée encore enser­rée dans la brume mati­nale. Les plus hauts arbres, ain­si que le temple, plus hauts que la brume elle-même en dépassent et semblent flot­ter telles des îles de blancs d’œufs sur une mer de vapeur onc­tueuse. Les cou­leurs sont indes­crip­tibles, d’une beau­té telle que je n’en ai jamais vue, des cou­leurs incroyables, dont le spectre varie à chaque minute. Pen­dant près d’une heure, je reste là médu­sé, à regar­der ce pay­sage qui se trans­forme sans cesse, même si c’est imper­cep­ti­ble­ment, avec ce temple magni­fique à deux kilo­mètres de là, qui point ten­dre­ment comme le téton d’un sein dépas­sant de l’eau.

Je redes­cends la col­line et le mini­bus m’emmène au pied du temple, après être pas­sé par des petits vil­lages aux mai­sons car­rées faites de briques crues, cuites sur place sur de grands bra­siers prêts à s’en­flam­mer, de jolies mai­sons tra­di­tion­nelles aux portes de bois ouvra­gées, au toit plat qui s’é­lève fina­le­ment en une pointe, mai­sons de Java, par­mi les champs et les rizières, et les routes où marchent de jeunes filles voi­lées, habillées de vio­let ou de vert, par­fois de mar­ron, tout dépend de l’é­cole cora­nique où elles vont… La vie com­mencent tôt, il est un peu plus de six heures.

J’ar­rive au temple et je passe les détails aga­çants (les ven­deurs à la sau­vette… par exemple). Tout ceci est majes­tueux. Je me rends compte que le monu­ment est construit de telle sorte que d’en bas on n’en voit pas le som­met, comme si de manière sym­bo­lique, on ne pou­vait aper­ce­voir la sphère céleste en res­tant les pieds sur terre et que pour arri­ver au nirvāṇa, il faut d’a­bord pas­ser par toutes les étapes par les­quelles est pas­sé le Boud­dha. Afin de res­pec­ter la tra­di­tion, j’ef­fec­tue la mon­tée gra­duel­le­ment, en res­pec­tant la cir­cu­mam­bu­la­tion (pradik­sha­na) qui consiste à tour­ner autour du temple dans le sens des aiguilles d’une montre afin d’a­voir le monu­ment tou­jours à ma droite. Dans cha­cun des cor­ri­dors sculp­tés, l’his­toire se déroule sur deux niveaux par face, soit quatre niveaux de lec­tures sur les quatre pre­mières pla­te­formes car­rées. On compte en tout 2670 bas-reliefs sculp­tés dont plus de la moi­tié sont nar­ra­tifs, soit près de 5km de frises dérou­lées !! Dif­fi­cile de se rendre compte. Les étages supé­rieurs où se trouvent les stû­pas sont impres­sion­nants et on se rend compte à quel point la sym­bo­lique est impor­tante ici. Sur les étages infé­rieurs, on ne voit pas l’ho­ri­zon. Plus on monte, mieux on le voit. Rien n’est lais­sé au hasard ici, tout est éga­le­ment relié au chiffre 9, nombre de sphères qu’il existe dans le ciel bouddhiste.

La lumière de cette mati­née est superbe, même si la brume m’empêche de voir le Mera­pi, le vol­can voi­sin qui s’est déchaî­né en novembre der­nier. Je reste le plus de temps pos­sible ici et qua­si­ment à chaque étage, je ren­contre des éco­liers qui apprennent l’an­glais qui m’in­ter­rogent avec les mêmes ques­tions. Ils sont tous ado­rables et sont contents de ren­con­trer des étran­gers. Le fait que je vienne de Paris les sub­juguent, même s’ils n’ont jamais enten­du par­ler du mot France, qui ne leur dit rien. Cer­tains pensent que c’est Ita­lie, ou en Grande-Bre­tagne… Un groupe de jeunes filles me chan­te­ra une chan­son java­naise, rien que pour moi, un moment que j’im­mor­ta­lise par une petite vidéo.

Retour en mini­bus à l’hô­tel, je dors un peu dans les cahots, der­rière la vitre sur lequel tape un soleil très chaud. Je me réveille en sueur avec les bour­don­ne­ments d’une mouche grosse comme un moi­neau qui tape contre la vitre.

Je pas­se­rai le reste de ma jour­née à lézar­der autour de la pis­cine, après être aller me ravi­tailler au Super Indo, le super­mar­ché à deux pas l’hô­tel où j’ai ache­té un régime de petites bananes par­fu­mées (pisang) et du mie goreng déshy­dra­té (grands moments de soli­tudes que ces ins­tants de repas en Indo­né­sie après être pas­sé par la Thaïlande).

Je vais en ville annu­ler la virée au Mera­pi, trop auda­cieuse pour moi en fin de compte, une migraine et une trop grande fatigue me criant de ne pas y aller. Je prends deux nuro­fen et je m’en­dors tout habillé sur le lit à 18h00 pour me réveiller un tour de cadran plus tard.

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