Oct 14, 2013 | La vallée des rubis |
Je ne vous mène pas à l’intérieur, dit Maung Khin Maung, et sa voix exprimait une émotion singulière. Il faudrait des jours et des jours, et encore vous n’auriez fait qu’une partie du chemin. Je ne crois pas qu’il existe aujourd’hui un mineur, même parmi les plus vieux, qui connaisse entièrement les gorges souterraines à quoi conduit cette crevasse. Toute la montagne est creuse. On fouille là depuis des siècles. Aux galeries, aux caves et aux grottes naturelles, les mineurs de rubis ont ajouté par centaines, couloirs, niches, cellules, alvéoles. Dans tous les sens. A tous les niveaux. Sur le flan des abîmes obscurs. Au fond des gouffres noirs. Là même où reposent les ossements immenses des bêtes qui n’existent plus sur terre… Les squelettes des Grands Éléphants Morts.
Joseph Kessel
La vallée des rubis, Gallimard, 1955
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Oct 14, 2013 | La vallée des rubis |
Les formes successives d’une âme n’ont pas d’autre rapport entre elles que celui qu’ont le nuage et les plantes que sa pluie fait croître. Vous savez que la créature n’a aucun souvenir de ses états antérieurs. Il est difficile de limiter cette idée avec des paroles d’Europe. Du moins puis-je dire que ce qui a été traduit par « Tu renaîtras chacal » le serait moins mal par « de tes actes, à ta mort, un chacal naîtra ». Car il s’agit là d’exprimer la pensée de races pour lesquelles le chacal ne sait pas qu’il fut homme, n’est soumis qu’à des lois animales ; pour lesquelles la destinée n’est point marquée par la conscience que l’individu en prend, mais par l’infime changement qu’elle apporte au monde.
André Malraux
La tentation de l’occident , Pléiade, 1926
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Oct 14, 2013 | Livres et carnets, Sur les portulans |
On peut commencer à lire Joseph Kessel en passant par la grande porte, avec Le Lion et les livres qui ont été portés à l’écran et que l’on connaît plus pour leur succès propre que par le nom de celui qui en a écrit l’histoire, comme La passante du sans-souci ou L’armée des ombres. Ou alors on peut entrer par la petite porte avec ses romans de jeunesse ou tardifs, ou ses reportages magnifiques. Il y a de toute façon beaucoup de matière, beaucoup à lire, et c’est ce que j’ai commencé à faire, sans trop crier gare. Une réédition récente de La vallée des rubis m’a permis de découvrir un texte passionnant sur un des lieux les plus étranges de ce monde ; Mogok. Mogok est une ville birmane située dans la région de l’ancienne capitale royale Mandalay. Réputée pour ses mines de pierres précieuses et semi-précieuses, les étrangers ne peuvent s’y rendre qu’avec un permis spécial et à condition qu’ils bénéficient d’une licence leur permettant d’exploiter le commerce des pierres. On sait aussi que les ouvriers des mines sont souvent drogués afin de supporter les conditions de travail abominables dans lesquelles sont extraites les gemmes, et que les autorités font tout pour que cela ne soit pas connu. Pas assez apparemment, mais cela n’empêche pas l’exploitation de continuer.
L’histoire de Kessel se déroule depuis Paris jusqu’à Mogok, où le narrateur et son ami Jean se rendent pour retrouver les traces d’un trésor de rubis « sang-de-pigeon » perdu de manière mystérieuse. Avant d’arriver sur les terres birmanes, ils passent par Bombay, ce qui sera pour eux une expérience glaçante… Je livre ici deux pages de ce grand livre, à lire avec précautions. Âmes sensibles… s’abstenir… (more…)
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