Tuğ­ra, le mono­gramme du Sultan

Si vous êtes déjà allés en Tur­quie, vous n’a­vez pas pu pas­ser à côté de ce signe qu’on pour­rait sim­ple­ment croire être une belle cal­li­gra­phie arabe, et qu’on voit sur tous les objets rap­pe­lant de près ou de loin que le pays, jus­qu’en 1922, était gou­ver­né par un Sul­tan. Sur les fron­tis­pices des mos­quées immenses qu’on peut devi­ner avoir été conçues par Mimar Sinan, sur les rosaces qu’on voit mar­te­lées sur les pla­teaux en cuivre, sur les boîtes à savon des ham­mams, on retrouve par­tout ce signe qui n’est autre que la signa­ture des sul­tans ; la Tuğ­ra. Conçue comme un mono­gramme, c’est l’en­tre­lacs de plu­sieurs mots dési­gnant à la fois le nom mais aus­si la lignée (en arabe : kunya) et le titre exact. Ain­si Soli­man le Magni­fique (Süley­man) porte-t-il le titre — non pas de magni­fique mais — de Légis­la­teur (en turc : Kanu­ni). L’al­pha­bet arabe est l’al­pha­bet en vigueur dans l’Em­pire Otto­man jus­qu’à la réforme lin­guis­tique opé­rée par Atatürk en 1928 et la Tuğ­ra rédi­gée dans cet alpha­bet nait à l’é­poque des pre­miers échanges avec l’Oc­ci­dent. Les Ita­liens notam­ment, Véni­tiens ou Génois, sont alors cou­tu­miers de cette griffe qui ter­mine les lettres et qui désigne éga­le­ment le rang. Les Otto­mans ne seront pas en reste et emploie­ront à outrance cette marque dis­tinc­tive des lettres et édits impé­riaux et native, semble-t-il des tra­di­tions Seld­jou­kides d’A­na­to­lie. On trouve par exemple un exemple de cette belle signa­ture sur une lettre adres­sée par Süley­man au Roi de France Fran­çois Ier en 1536.

tuğra

Tuğ­ra de Süley­man Ier Kanuni
Pho­to © Tez­hip Sanatı

La signi­fi­ca­tion exacte de la Tuğ­ra de Süley­man est : Suley­man shah bin Selim shah han el-muzaf­fer dai­ma, Süley­man, sul­tan, fils du sul­tan Selim, tou­jours vic­to­rieux. L’é­cri­ture située dans la bulle sur la droite est le pseu­do­nyme du Sul­tan, en l’oc­cur­rence Kanu­ni, le Législateur.
Pour en savoir plus, visi­tez le site Tugra.org pour décou­vrir les Tuğ­ras de tous les sul­tans et leur mode de fabrication.

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1993 : Venise sau­vage et secrète

1993 : Venise sau­vage et secrète

 

J’ai visi­té Venise en voyage d’é­tudes alors que j’é­tais déjà à l’u­ni­ver­si­té et la pre­mière chose que j’ai faite en arri­vant a été de lais­ser le groupe des lycéens pour aller boire un vrai café ita­lien dans une petite échoppe au comp­toir duquel on venait sim­ple­ment s’ap­puyer avec sa tasse et les volutes de fumées pour seuls com­pa­gnons. Les sou­ve­nirs que j’en ai sont vagues. J’ai des sou­ve­nirs écor­nés, des bribes de sou­ve­nirs que j’ai du mal à recol­ler entre eux pour leur don­ner une cohé­rence, des odeurs qui me reviennent, mais pas grand-chose somme toute. C’est triste de voir que les plus belles mer­veilles du monde peuvent vous suf­fo­quer et vingt ans après ne plus vivre que par l’en­tre­mise de quelques pho­tos. Je me sou­viens du ghet­to, et d’un cap­puc­ci­no pris dans un des salons du Café Flo­rian, des rues le long des canaux, déser­tées, de l’eau sau­mâtre qu’on m’a­vait dit puante, du par­fum entê­tant de belles véni­tiennes com­pas­sées, je me sou­viens comme si c’é­tait hier du sein blanc et des doux che­veux blonds… véni­tiens… de la belle Aude, je me sou­viens des soi­rées éclai­rées par les réver­bères dans des rues où j’o­sais me ris­quer seul, laby­rinthe plus effrayant que dans n’im­porte quel conte, du Har­ry’s Bar et du fan­tôme d’He­ming­way, du Hol­lan­dais Volant per­du quelque part, de la Fenice majes­tueuse dans son écrin de pierre, du Lido de Tho­mas Mann, de Vis­con­ti et de Bogarde, des scuole indes­crip­tibles et du bureau de poste, des mots ita­liens ou véni­tiens peut-être qui flot­taient dans l’air avec un air natu­rel, dont j’ar­ri­vais presque à sai­sir toutes les nuances, de l’air brouillas­seux qui plane sur la lagune et peut-être aus­si, qui sait, au détour d’une rue ou d’une pla­cette où se trou­ve­rait une locan­da, un puits à la mar­gelle ouvra­gée, un chat qui s’é­chap­pe­rait à l’angle, peut-être, je ne sais plus, le fan­tôme gaillard de Cor­to Mal­tese. J’ai tra­qué le soleil dans l’ombre, la lumière dans les ténèbres et le sou­ve­nir en est presque effa­cé à présent.

Reliques d’un voyage d’é­tudes il y a vingt ans, j’ai retrou­vé de vieilles pho­tos de Venise oubliées dans un album. De vraies pho­tos en noir et blanc que le temps n’a même pas alté­rées, c’est ce que j’ai rame­né de cette Venise qui s’est levée devant moi, une Venise sau­vage et secrète puis­qu’à l’é­poque j’a­vais pris le par­ti de ne choi­sir que des cadrages sévères, déshu­ma­ni­sés, en évi­tant soi­gneu­se­ment, si pos­sible les cli­chés de cartes pos­tales. Cer­taines n’é­vitent pas l’é­cueil, mais peu importe, ce sont mes pho­tos, ma vision, ce que je me suis appro­prié et qui semble rele­ver désor­mais d’une autre époque, d’un temps sans numé­rique, une temps de mémoire, avec de vrais appa­reils pho­tos qu’il fal­lait cares­ser pour qu’ils soient dociles et que la magie de la lumière fasse son œuvre. Ces temps, comme ces pho­tos dans mon cœur, demeurent magiques.

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Thaï­lande, sous une lumière d’ocre (1) — Ambiances sonores à Chiang Mai

Thaï­lande, sous une lumière d’ocre (1) — Ambiances sonores à Chiang Mai

Plus de trois semaines pas­sées sous le soleil brû­lant d’une Thaï­lande qui vit dans l’an­née 2556 et j’ai pris un peu le temps de pro­cé­der à des enre­gis­tre­ments lorsque j’en avais la pré­sence d’es­prit. J’ai ain­si pu récol­ter plus d’une qua­ran­taine d’am­biances du nord au sud, en com­men­çant par Chiang Mai, puis Bang­kok et enfin Koh Pan Ngan. J’au­rais pu être plus métho­dique, recueillir beau­coup plus, de meilleure qua­li­té, asso­cier ces ambiances sonores à des pho­tos, mais ce n’est pas un pro­jet que j’a­vais pré­mé­di­té et j’ai tout fait au fil de l’eau sans idée pré­con­çue. Et fina­le­ment je me dis que le son sans l’i­mage per­met de se plon­ger dans une autre dimen­sion, de s’im­mer­ger dans l’in­con­nu sans pré­ju­gé. Juste avec des mots pour expli­quer ce que c’est et d’où ça vient.

Wat Chedi Luang - Chiang Mai - août 2013

Wat Che­di Luang, Chiang Mai
Thaï­lande, août 2013

Chiang Mai

(1) Mar­ché du dimanche (1′03″)

Le dimanche à Chiang Mai, un mar­ché ambu­lant s’ins­talle dans quelques rues cen­trales de la vieille ville, s’é­ten­dant depuis la porte de Tha Phae le long de Tha­non Racha­dam­noen. Le soir venu, je voyais un peu d’un mau­vais œil que le mar­ché s’ins­talle pré­ci­sé­ment dans la rue où se trou­vait mon hôtel, crai­gnant du bazar, mais lorsque j’ai vu que s’ins­tal­lait un mar­ché de res­tau­rants ambu­lants dans la cour du Wat Phan On, j’é­tais ravi de pou­voir me res­tau­rer à moindre frais et de mets suc­cu­lents. Du coup, je me suis trou­vé un peu dému­ni les jours sui­vants. C’est à la sor­tie de ce temple que se trou­vait ce petit orchestre tra­di­tion­nel qui m’a mis en joie. On entend vers la fin une voix qui parle dans un haut-par­leur et qui à un moment a enjoint les pas­sants à s’ar­rê­ter pour faire hon­neur à l’hymne natio­nal. Surprenant.

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(2) A la ter­rasse d’un café (1′02″)

Au croi­se­ment de Tha­non Racha­dam­noen et de Tha­non Pra­pokk­lao, se trouve un petit café où l’on peut boire des jus gla­cés et se res­tau­rer sur le pouce. Si c’est à la croi­sée des che­mins entre deux des plus grandes artères, c’est rela­ti­ve­ment calme. Entre le bruit des scoo­ters et quelques taxis qui passent dans les envi­rons, ambiance rock’n’­roll décontractée.

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(3) Chants de moines Wat Intha­khin Sadue­muang (1′11″)

Le temple de Wat Intha­khin Sadue­muang se trouve à proxi­mi­té de la place du musée des arts de Chiang Mai. C’est un temple récent, moderne, dans lequel trône un beau boud­dha blanc nim­bé d’une lumière vio­la­cée qu’on ne serait pas éton­né de voir dans une boîte de nuit bran­chée. Aux der­nières heures de la jour­née, j’ai assis­té à la réci­ta­tion des chants de moines. Le chantre, dos à son audi­toire, cares­sait un chien qui se frot­tait contre lui et autant dire que les moi­nillons, à peine plus âgés de douze ou treize ans étaient loin d’être atten­tifs à la lec­ture. Assis sur les marches du temple, je leur tour­nais le dos pen­dant que j’enregistrais.

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(4) Cloches de 18h00 à Wat Sum Pow (1′08″)

Tra­ver­sant un peu par hasard la cour du Wat Sum Pow, un petit temple dis­cret juste en face du Wat Phan On, j’ai aper­çu un moine qui se diri­geait avec une mailloche vers la ran­gée de cloches tibé­taines au pied du temple. Je n’ai pas vrai­ment réus­si à savoir pour­quoi les cloches étaient son­nées à 18h00 pré­cises tous les jours mais j’i­ma­gine que cela cor­res­pond à la fin de la jour­née ou peut-être à une prière en par­ti­cu­lier, mais je vais me renseigner.

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(5) Prière à Wat Umong­ma­ha­te­ra­chan (2′30″)

Dans le jar­din du très joli temple Wat Umong­ma­ha­te­ra­chan, je me suis posé pour écou­ter le chant lan­ci­nant de ce moine qui tous­sait dans le micro en réci­tant sa prière. On entend par­fois au fond le chant des fidèles. Musi­cale et envoû­tante, enton­née d’une voie rauque, cette petite ritour­nelle dont je ne com­prends aucun mot se ter­mine dans la réci­ta­tion de quelques mots qui tombent, comme si plus per­sonne ne l’écoutait.

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(6) Prêche du midi à Wat Umong­ma­ha­te­ra­chan (2′32″)

Retour dans le même temple le len­de­main midi où un homme prê­chait dans un haut-par­leur alors qu’il n’é­tait pas dans le temple. Dans le même haut-par­leur, je pou­vais entendre un coq chan­ter. Un endroit bien agréable où s’as­seoir pour médi­ter par­mi les briques mous­sues et les sta­tuettes de Boud­dha recou­vertes de cou­lures de bou­gies oranges.

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(7) Prière  à Wat Chom­pu (1′17″)

Petit temple hors-les-murs de la vieille ville, sur les che­mins de tra­verse, Wat Chom­pu se trouve près de Tha­non Tha Phae. Doté d’un Boud­dha immense, le temple dis­cret est acces­sible par une petite porte en pierre hors d’âge. Décou­vert par hasard, c’est un lieu au milieu d’une vie calme, sur la route qui mène vers Chi­na­town et le mar­ché de Waro­rot, où je suis arri­vé à l’heure de la prière, ras­sem­blant un grand nombre de fidèles, dont des Occidentaux.

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(8) Clo­chettes au vent à Wat Phra That Lam­pang Luang (0′52″)

Mal­heu­reu­se­ment, quand on n’a qu’un maté­riel très rudi­men­taire, le résul­tat est par­fois un peu déce­vant, ce qui est dom­mage pour cette ambiance. Le temple de Wat Phra That Lam­pang Luang est un des plus beaux que j’ai vus en Thaï­lande, com­plè­te­ment per­du entre deux villes de moyenne impor­tance. Le lieu est magique, d’une beau­té simple et téné­breuse et lorsque le vent s’est levé juste avant que ne tombe une pluie inces­sante qui mar­que­ra cette jour­née, les clo­chettes accro­chées au che­di se sont mises à tin­ter dans le vent, lais­sant ima­gi­ner une cohorte de fan­tômes qui enva­his­sait les lieux silen­cieux. Le vent fait aus­si un peu cra­cher le micro, ce qui rompt mal­heu­reu­se­ment la magie du moment.

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(9) Conver­sa­tion entre deux per­sonnes à Lam­pang (1′05″)

A la fin de cette très belle jour­née, même si elle fut abon­dam­ment plu­vieuse, je suis allé à Lam­pang, ville que j’ai mal­heu­reu­se­ment trou­vée sans beau­coup d’in­té­rêt, et les deux temples que j’y ai visi­té intra-muros n’a­vaient vrai­ment pas beau­coup d’in­té­rêt. J’ai réus­si à inter­cep­ter une dis­cus­sion dans la rue entre mon chauf­feur de taxi et le conduc­teur d’une petite calèche tirée par un âne.

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(10) Voi­ture publi­ci­taire dans le centre de Chiang Mai (0′12″)

Sou­vent dans les rues passent des voi­tures arbo­rant de grandes affiches publi­ci­taires, soit pour van­ter les mérites de l’ac­tion d’un homme poli­tique local (hum), soit pour annon­cer le pro­chain show de Muai-thaï (มวยไทย), ce qu’on connaît sous le nom de boxe thaï. C’est le cas ici ; je n’ai pu attra­per qu’une dizaine de secondes. La par­ti­cu­la­ri­té de ces réclames réside dans le fait que le volume est beau­coup, mais alors beau­coup trop fort.

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(11) Répé­ti­tion du défi­lé pour l’an­ni­ver­saire de la reine Siri­kit au temple Wat Pa Pao (1′05″)

Wat Pa Pao est un tout petit temple situé juste à la sor­tie de l’en­ceinte de la vieille ville. Repré­sen­ta­tif du style chan, c’est un tout petit temple dont la cour plan­tée d’arbres est comme un îlot de ver­dure ombra­gée dans la ville. Le 12 août, c’est l’an­ni­ver­saire de la reine Siri­kit et avant ces fes­ti­vi­tés sur­di­men­sion­nées, tous les enfants du pays sont réqui­si­tion­nés pour répé­ter pour le défi­lé de ce jour par­ti­cu­lier pour les Thaïs. C’est à une de ces répé­ti­tions que j’ai assis­té dis­crè­te­ment, tan­dis que de l’autre main je fil­mais une petite fille qui sau­tait à la corde et qui, puis­qu’elle m’a­vait sur­pris, s’est par­ti­cu­liè­re­ment bien appli­quée. Si vous ne le saviez pas, vous vous aper­ce­vrez que les Thaïs répètent sou­vent deux fois la même chose.

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(12) Der­nier jour : dans la rue à Chiang Mai (2′02″)

Tan­dis que déjà je regrette de devoir par­tir de cette ville qui me fas­cine, je grave quelques sons pris dans la rue : voi­tures, scoo­ters, camions, taxis, vélos, klaxons et sur­tout l’inénarrable tuk-tuk 400cc de marque Dai­hat­su avec son bruit recon­nais­sable entre tous. Chiang Mai, der­nier volet, der­nières impres­sions, et l’en­vie d’y revenir.…

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La suite : Thaï­lande, sous une lumière d’ocre (2) – Ambiances sonores à Bangkok

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Le vam­pire de Ropraz

Le vam­pire de Ropraz

Jacques Ches­sex est très cer­tai­ne­ment trop peu connu. Mais qu’on ne s’y trompe pas ; celui qui fut Prix Gon­court en 1973 pour L’ogre est Suisse (comme ça c’est dit, his­toire d’éviter l’appropriation). Il est d’ailleurs le seul Suisse à avoir obte­nu ce prix, ain­si que le Prix Gon­court de la poé­sie en 2004. Décé­dé en 2009, il a béné­fi­cié d”un regain de popu­la­ri­té après sa dis­pa­ri­tion, c’est en tout cas ce qui me l’a fait connaître et je découvre Ches­sex avec ce petit livre au nom qui sonne comme un coup de toc­sin dans l’hiver des hauts pla­teaux nei­geux, Le vam­pire de Ropraz.
Tout com­mence par la mort d’une jeune fille, une fleur sur la boue, qui sitôt enter­rée ver­ra sa tombe pro­fa­née, son corps atro­ce­ment muti­lé, dévo­ré, par un fou dan­ge­reux qu’on aura tôt fait de sur­nom­mer le vam­pire. La psy­chose s’empare d’un petit vil­lage du pla­teau du Haut-Jorat vau­dois, au nord du Léman, d’autant que le fou mul­ti­plie ses hor­reurs et s’en prend à deux autres jeunes filles, toutes aus­si mortes… Les dénon­cia­tions calom­nieuses com­mencent à cou­rir, on s’en prend aux mar­gi­naux, aux étran­gers, et la folie s’empare aus­si de la petite cam­pagne dans laquelle se répand la vilé­nie comme une traî­née de poudre, exa­cer­bant les ins­tincts les plus bas d’une com­mu­nau­té repliée sur elle-même… on finit par trou­ver un cou­pable qu’on envoie aux fers, puis un temps sau­vé par la psy­chia­trie fait un faux pas et se retrouve à nou­veau sous la vin­dicte popu­laire… Le jeune homme s’enfuit, on perd sa trace…
Le roman de Ches­sex décrit avec une éner­gie simple mais d’une effi­ca­ci­té redou­table la fas­ci­na­tion exer­cée par cet odieux per­son­nage, dont rien ne nous dit s’il est le cou­pable ou non, mais ce qui est le plus fas­ci­nant, c’est la bas­sesse des gens, leur mes­qui­ne­rie, les grandes peurs qui par magie se trans­muent en petites cochon­ne­ries. Dans une langue lim­pide, directe et somp­tueu­se­ment pesée, Ches­sex livre un bijou ter­ri­fiant, basé sur des faits réels, qui n’a rien à envier aux maîtres de la lit­té­ra­ture d’horreur.

Février 1903. Le début de l’année a été très froid, la neige tient sur Ropraz, qui paraît encore plus tas­sé, et oublié, sur son pla­teau bat­tu des vents. Depuis le 1er février la neige tombe sans dis­con­ti­nuer. Une neige lourde, mouillée, sur le ciel sombre, et le vil­lage n’a pas été épar­gné depuis quelques temps. Routes cou­pées, les fièvres, plu­sieurs vaches ont mal vêlé, et le 17, un mar­di, la jeune Rosa, grande fleur fraîche, vingt ans, la peau claire, de grands yeux, de longs che­veux châ­tains, est morte de la ménin­gite dans la ferme de son père, M. Emile Gil­lié­ron, juge de paix et dépu­té au Grand Conseil. C’est un homme consi­dé­rable, sévère, avi­sé, géné­reux. Il a du bien, beau­coup de terre à la ronde, et la souple beau­té de sa fille a fait des troubles puis­sants. De plus elle est bonne chan­teuse, dévouée aux malades, active parois­sienne à l’église mère de Mézières… Des gens rares, comme on voit. Et qui étonnent devant la lai­deur, le vice, la ladre­rie ambiante.

La fin que Ches­sex nous réserve peut paraître fan­tasque, mais ce n’est que pour mieux poin­ter du doigt le fait qu’une socié­té qui engendre des monstres est tout aus­si capable de les vénérer…

Pho­to © Oli­vier Londe

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La zone (Чорнобиль)

La zone (Чорнобиль)

La zone, c’est cette par­tie du monde, trop bien connue, bien­tôt rejointe par celle de Fuku­shi­ma, qui dans un rayon de trente kilo­mètres autour de la cen­trale de Tcher­no­byl est cen­sée être inha­bi­tée, un no man’s land ter­ri­fiant, com­po­sé de plu­sieurs villes fan­tômes, dont Pri­pyat fon­dée en 1970, cin­quante mille habi­tants éva­cués, popu­la­tion aujourd’hui : zéro. La réa­li­té est un peu plus contro­ver­sée, car cette zone est encore habi­tée par un mil­lier d’ouvriers, offi­ciel­le­ment, trois ou quatre fois plus en réa­li­té. Les enfants mineurs et les femmes enceintes ou en âge de pro­créer n’y sont pas auto­ri­sés. Là aus­si, les règles sont souples. Quoi qu’il en soit, ceux qui n’ont pas vou­lu quit­ter la zone peuvent y vivre, les auto­ri­tés les jugent de toute façon fou­tus.
La zone est un web­do­cu­men­taire trou­blant, en immer­sion dans la vie de ces délais­sés, Russes deve­nus Ukrai­niens mais tou­jours autant conta­mi­nés, dans une région où l’on cueille des cham­pi­gnons, où l’on pille les appar­te­ments pour en récu­pé­rer le bois et où l’on brûle les livres pour faire du feu… Où l’on se rend compte que la catas­trophe nucléaire a non seule­ment tué des dizaines de mil­liers d’âmes, mais éga­le­ment l’espoir.
L’histoire de Palies­ka, c’est l’histoire d’une ville conta­mi­née, moins connue que Pri­pyat, mais qu’on a cher­ché à dis­si­mu­ler en reti­rant la terre sur cinq mètres, en chan­geant les toi­tures et le bitume des routes… et en éva­cuant sa popu­la­tion dix ans après…

Récem­ment, le pré­sident ukrai­nien a deman­dé à l’Agence Inter­na­tio­nale de l’Énergie Ato­mique la pos­si­bi­li­té de pou­voir exploi­ter à nou­veau les terres conta­mi­nées. Pour l’instant, la réponse est tou­jours non.

Prypiat: Public Swimming Pool

Pri­pyat est deve­nu aujourd’hui un des hauts lieux d’une nou­velle forme de tou­risme, le tou­risme nucléaire…
Loca­li­sa­tion de Pri­pyat sur Google Maps.

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