Le mystérieux goût des fraises mortes
[audio:europe.xol]On ne m’accusera pas de parti pris si je porte aux nues les sciences anciennes des livres retrouvés dans les madrasas de Tombouctou, l’odeur des rues surpeuplées de Kolkata et la musique un peu bancale des faubourgs du Caire, la couleur des laines feutrées boliviennes avec lesquelles on tresse de petits pompons rêches comme des mains de travailleurs ou les cailloux inégaux que peignent les hommes du Bush, on ne m’accusera de rien de tel, surtout si je renonce constamment aux bienfaits de la civilisation, en surface en tout cas et à peu près dans les faits. Je n’aime pas me cantonner aux ardeurs sèches des apparences… Je n’aime pas me montrer sectaire avec ce que je ne connais pas, ne maîtrise pas.
Parfois, je me mets à la fenêtre pour respirer l’air de ces soirées d’été, comme la veille de cette journée où quelque chose de végétal flotte, une je-ne-sais-quoi qui viendrait des arbres ou de leurs feuilles chassées, lustrées par le vent, comme on peut le sentir en Bretagne, les soirs doux, l’herbe flottant en ondes verdoyantes, océan de vie refuge de milliers de vies… L’orage passe par là, balaie tout, la chaleur, la sécheresse d’un temps, et la pluie battant comme des frêles mains sur la peau tendue d’une darbuqqa claque sur le sol dans un rythme entêtant de chaman à l’orée de sa grotte. L’odeur de terre mouillée monte jusqu’ici et m’envoûte dans une rêve de nature impalpable, que mes mains n’arrivent à caresser.
Comme c’était bien senti d’avoir vu que les petits tracas qui s’empilent, couplés à la fatigue d’une fin d’année passée à courir m’ont épuisé dans les moindres recoins, jusque sous les ongles, dans les replis de la peau, sous les paupières… Et puis… Silence !
Je suis là, je suis chez moi, j’écoute Bach, Domenico Scarlatti, Pietro Gnocchi ou Robert de Visée, je suis incollable sur le Baroque et le Renaissance, j’arrête quand je veux, je reprends quand je veux, je fais ce que je veux. Si demain je veux disparaître, je disparais et si je veux revenir le jour d’après, je reviens.
Je mène mes petites révolutions… Point par point.
Si je veux manger des fraises mortes au goût mystérieux, je mange des fraises mortes.
Mais pour l’instant, je mange des abricots. Juteux.