Un ciel comme une cou­lée de lave

Ciel de lave

Au lever du jour, en pas­sant devant la fenêtre, j’at­trape l’air du matin, la cou­leur de ce moment de grâce pen­dant lequel le soleil arrive enfin à mon­trer le bout de son nez. J’ai le sou­ve­nir d’un poème des Fleurs du mal qui monte en moi comme une bouf­fée de cha­leur et qui m’é­meut… Le monde n’ex­hale jamais autant de beau­té que lors­qu’il passe entre les mots d’un de ses poètes. Au petit matin, le ciel prend des cou­leurs de cou­lée de lave sur les flancs d’un vol­can éreinté.

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

 

Le pas­sant cha­grin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Le premier matin

Au len­de­main du jour au ciel de lave, le petit matin annonce une cou­leur tendre, une frange d’un superbe dégra­dé tan­dis qu’à l’ouest les ténèbres sont encore pré­sentes et pro­fondes. Tous les matins, je me laisse ber­cer par cette lumière, assis sur mon cana­pé avec ma tasse de café, avec de plus en plus de plai­sir lorsque les jours de prin­temps se lèvent de plus en plus tôt. J’es­saie de tenir la dis­tance, de me lever avec le soleil, d’é­pou­ser le rythme natu­rel d’une belle jour­née, comme un ancien.

Les reten­tis­santes couleurs
Dont tu par­sèmes tes toilettes
Jettent dans l’es­prit des poètes
L’i­mage d’un bal­let de fleurs.

 

Ces robes folles sont l’emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t’aime !

Après la pluie

Je ravale mes pen­sées pré­somp­tueuses en me disant qu’un jour je serai plei­ne­ment satis­fait de ce que j’ai. Quand bien même je pour­rais satis­faire mon désir, que je serai cer­tai­ne­ment encore à la recherche d’autre chose, c’est ce qui me fait dire qu’à ne point dési­rer, on finit par ne jamais être déçu. Alors des images me traînent dans la tête, de purs fan­tasmes qui res­te­ront fan­tasmes, des rêves qui res­te­ront rêve ; c’est peut-être ça qui main­tient en vie.

Quel­que­fois dans un beau jardin
Où je traî­nais mon atonie,
J’ai sen­ti, comme une ironie,
Le soleil déchi­rer mon sein ;

 

Et le prin­temps et la verdure
Ont tant humi­lié mon cœur,
Que j’ai puni sur une fleur
L’in­so­lence de la Nature.

Douro Europos

Alors les jours se referment les uns après les autres comme des fleurs de prai­rie au cré­pus­cule, et je me mets en arrière, per­du dans mes songes qui comblent les minutes soli­taires. Je m’i­ma­gine visi­tant les salles lumi­neuses d’un musée bai­gné de soleil, dont les rayons éblouissent les dalles de marbre colo­ré et les portes en bois sombre, navi­guant entre une frise en céra­mique bleue et le relief fémi­nin d’une dalle de Dou­ro-Euro­pos au regard vide et imper­son­nel, mais qui tra­duit au fond une absence de plu­sieurs cen­taines d’années.
Fina­le­ment, c’est tou­jours moi le gagnant dans l’his­toire, même si per­sonne ne joue au même jeu…

Ain­si je vou­drais, une nuit,
Quand l’heure des volup­tés sonne,
Vers les tré­sors de ta personne,
Comme un lâche, ram­per sans bruit,

 

Pour châ­tier ta chair joyeuse,
Pour meur­trir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une bles­sure large et creuse,

 

Et, ver­ti­gi­neuse douceur !
A tra­vers ces lèvres nouvelles,
Plus écla­tantes et plus belles,
T’in­fu­ser mon venin, ma sœur !

Charles Bau­de­laire, 1857

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