Roméo pleu­rant au bal­con, Juliette se roule dans l’herbe

Début d'automne

Il y avait ce soir-là un air de pro­vo­ca­tion, une tem­pé­ra­ture dérai­son­nable, un je-ne-sais-quoi dans l’air qui annonce un été qui n’est jamais vrai­ment arri­vé. Pen­dant que mon fils pre­nait son cours de musique, je me suis assis à cali­four­chon sur le banc en pierre dans le parc, ma bou­teille d’eau et mon maga­zine posés devant moi. Les enfants criaient et jouaient sur l’herbe pen­dant que les mères avec leur petit engon­cé dans leur pous­sette, dans un bal­let dégou­li­nant de rires et de paraître, débla­té­raient sur telle ou telle mère de famille, absente évi­dem­ment. Les hautes branches com­men­çaient à jau­nir sérieu­se­ment alors qu’il fai­sait encore chaud.
Je n’ai pu m’empêcher de sou­rire à la lec­ture de ces mots d’A­lain Badiou.

Les ren­contres sont si faciles, si nom­breuses, que l’in­ten­si­té du chan­ge­ment qu’on peut accep­ter à par­tir d’elles n’est plus la même. On intro­duit un sys­tème de pré­cau­tion : je prends quel­qu’un de suf­fi­sam­ment sem­blable à moi pour espé­rer faire un che­min avec cette per­sonne en res­tant exac­te­ment ce que je suis. C’est une ten­dance du monde contem­po­rain d’in­tro­duire une fausse varié­té à l’in­té­rieur d’une grande permanence.

De la salle de danse sor­tait le mar­tel­le­ment dis­har­mo­nieux du pia­no que je sais être désac­cor­dé où une femme jouait avec une éner­gie obs­cène la danse des che­va­liers extraite de Romeo et Juliette, de Pro­ko­fiev. Sur les marches de la salle s’é­brouaient des ado­les­cents que le jeu des amours nais­santes fait se com­por­ter comme de réels idiots qu’ils ont la chance d’être encore. L’une d’entre eux por­tait un short en jean pro­vo­cant lais­sant voir la nais­sance de ses fesses. A l’é­tage, José­phine, jeune adulte frin­gante et volup­tueuse, à la peau brune et lisse, recoif­fait ses che­veux raides main­te­nus en queue de che­val, quelques uns, indis­ci­pli­nés, repas­sés der­rière l’o­reille, der­rière la branche de ses lunettes de marque. Sa poi­trine indé­cente ne ces­sait de res­pi­rer fort dans un mou­ve­ment qui attire mon regard sous les toits brûlants.
L’é­té est encore là, mais plus pour longtemps.

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