Retour à l’argentique
C’est un appareil semi-automatique qui se trouvait sur l’étagère au-dessus de la penderie de mes grands-parents. Je chérissais cet endroit pour le fait qu’elle recèle mille et un trésors que je ne me suis jamais aventuré à aller déterrer. J’y aimais particulièrement l’odeur de cuir qui y régnait, ces cuirs qui servaient de rangements. C’est dans cet endroit magique que, je le sais depuis toujours, se trouve l’appareil photo et ses trois objectifs, tous ses accessoires, déclencheur à distance, pare-soleil, pied à visser sur une table, filtres, chiffons, mais on y trouve également une caméra super‑8, un projecteur de films, et des dizaines de bobines développées. Dans le placard à balais se trouve l’écran pliable avec sa surface blanche immaculée et granuleuse comme de la toile émeri. Depuis l’avènement du numérique, mon grand-père avait opté pour un bridge Olympus, fidèle à la marque, car son ancien appareil est un Olympus OM-1n MD datant de 1979, avec une coque en métal taillée à la serpe, un appareil solide, à toute épreuve, équipé d’une cellule LED et d’une monture très robuste en nickel-cadmium. Son seul défaut est en fait dû à l’usure ; le rideau a tendance à se bloquer et à empêcher son utilisation tant qu’on n’a pas un peu tapé dessus pour le brusquer. Il a permis à mon grand-père de prendre des centaines de photos, notamment en Égypte, où il a perdu son filtre polarisant sur les rebords d’une balustrade sur les hauteurs de la mosquée Al-Azhar au Caire. L’homme vaillant et intrépide qu’était mon pépé a commencé à enjamber ladite balustrade pour aller le récupérer, mais il a été rattrapé par le guide qui lui a interdit de se pencher dans le vide pour aller chercher son matériel. J’imagine qu’il doit toujours y être.
C’est donc avec cet appareil engoncé dans une housse en cuir que je suis parti en vacances, ne sachant pas réellement m’en servir puisque la dernière fois que j’ai utilisé un appareil « argentique », c’était au lendemain de mon bac, en 1993, avec mon Minolta à cellule électronique. Là, je me suis retrouvé en grande difficulté avec mes pellicules 400ISO (parfois, j’ose encore dire ASA) par temps ensoleillé, puisque plusieurs fois, je me suis rendu compte que je risquais la surexposition. Dès que l’occasion s’est présentée, je me suis procuré trois pellicules ILFORD noir et blanc, FP4 plus 125ISO 36 poses que j’ai commencé à utiliser en Bretagne. La première pellicule ne s’est jamais enclenchée et je me suis retrouvé sans aucun résultat pour ma première salve. La seconde sera la bonne.
Photographier en semi-manuel est un véritable plaisir qui me fait découvrir les joies de la technique. Je prends enfin conscience que photographier est une histoire de temps à prendre, de lenteur et de douceur. Avant d’appuyer sur le déclencheur, il faut prendre le temps de cadrer, de régler vitesse et obturation avant d’explorer enfin tout le cadre avec la cellule pour jauger l’exposition. Parfois même il faut attendre que le nuage s’en aille afin de retrouver cette si belle lumière qui nous a attiré l’œil et qu’on veut absolument retrouver. C’est pour cette raison que le cliché devient chose rare, car il est plus exigeant qu’avec la photo numérique qu’on a tendance à faire se contenter de peu, par facilité plus que par ignorance réelle.
Le terme « argentique » existe seulement depuis le début des années 2000, quand le numérique a débarqué et qu’il a fallu trouver une dénomination qui puisse faire la distinction. Autrefois, ce n’était que de la photo. Aujourd’hui, il faut faire la distinction, même si le terme nous paraît avoir toujours existé.
Il aura fallu que je passe par le numérique pour apprendre à photographier avec un appareil 24x36. Je me suis amusé avec les deux objectifs à focale fixe dont je dispose. Un Olympus f50mm 1 :1,8 qui m’a permis de me faire la main et un Tokura f28mm 1 ;2,8 d’une qualité exceptionnelle. Je crois que l’optique produit un léger vignettage et les lentilles sont particulièrement bien finies.
Travailler avec une focale fixe par rapport au téléobjectif permet de se déplacer plutôt que de faire fonctionner le zoom. Le photographe doit se déplacer si le cadrage ne lui convient pas. C’est plus exigeant.
Le paysage, lui, s’il n’est pas animé, engage un dialogue avec celui qui le photographie, dans une relation ambigüe qui relève pour sa part de la posture. Il se révèle et se dévoile en même temps qu’il se voile, il énonce des postulats que seul l’œil du photographe est capable de recevoir dans le cadre de son objectif, et seul le photographe est capable de le faire évoluer.
Toutes les photos ont été prises à la pointe de Poul Stripo à Plougrescant… avec mon téléphone.
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