La légende d’Alexandre jusqu’au Gandhāra
Il se tient en ce moment au musée Guimet une exposition tout à fait magique sur l’art du Gandhāra, cet étrange chose qui s’est étendue dans les plaines du Pakistan et de l’Afghanistan, dans les vallées de la Swât et de la Kâboul. L’art du Gandhāra est un syncrétisme dans lequel les formes de l’hindouisme et du bouddhisme se sont développées sur des sources artistiques grecques et moyen-orientales. L’art sculptural qui en émane est un des seuls reliquats de cette civilisation qui a vu son heure de gloire au Ier siècle et qui a disparu sous la brutalité des invasions des Huns Shvetahūna .
Étrangement, celui par lequel ces influences se sont frayées un chemin jusqu’au delta du Gange est le plus grand conquérant de tous les temps, Alexandre, fils de Philippe II, roi de Macédoine et qui a parcouru le monde jusqu’aux rives du fleuve sacré. L’histoire de ce personnage mythique est maculée d’une série de légendes qui seront portées jusqu’au Moyen-Âge sous forme de récit épique et fortement romancé, dans lequel tout est fait pour magnifier l’homme qui selon la légende finit empoisonné alors qu’il périra en fait à Babylone, terrassé par la malaria.
C’est ce texte qu’a traduit et commenté Jacques Lacarrière dans la Légende d’Alexandre pour transcrire la vision que l’homme a véhiculé au travers des siècles. La réalité est moins belle ; Alexandre, malgré sa jeunesse et sa fougue, ressemblait plus à une brute avinée et orgueilleuse qu’au bellâtre conquérant des médailles et des bustes à son effigie.
L’entreprise d’Alexandre permit donc à l’hellénisme de s’implanter durablement dans ces régions et de créer une culture originale, encore peu étudiée, un riche métissage d’hellénisme, d’iranisme et d’hindouisme qui s’exprima surtout dans le domaine de l’art. Ce sont ces grecs implantés en Bactriane et en Sogdiane qui, les premiers, donnèrent un visage au Bouddha. Jusqu’alors, les Indiens ne le figuraient que par des symboles. Et ce visage serein et pur, ce visage si révélateur de ce qu’on nomme l’art gréco-indien du Gandhara est l’œuvre d’artistes grecs venus d’Alexandrie qui l’empruntèrent aux statues et au visage d’Apollon ! Les premières statues du Bouddha ne sont pas en marbre, matériau inexistant dans ces régions, mais en schiste et en stuc — mélange de chaux vive et de sable — dont la technique est originaire d’Alexandrie. Si les artistes grecs s’inspirèrent d’Apollon pour donner des traits au Bouddha, c’est qu’avec son fin sourire, ses traits sereins, sa tunique sobrement plissée, le Dieu de la Lumière proposait une sorte d’esquisse grecque de l’illumination bouddhique. Le Lumineux prêta ses traits à l’Illuminé. Où trouver symbole plus riche et plus fort de la rencontre harmonieuse de deux cultures et de deux religions ?
Le roi Darius n’écouta pas les paroles de Candarcousis. Il dépêcha Clitéus, son bien-aimé, vers Alexandre pour qu’il le voie et qu’il lui donne son avis. Il lui fit porter aussi une petite poupée en bois qu’on fait tourner avec une baguette, deux coffrets vides, deux sacs de graines et la lettre suivante :
« Darius, le roi des rois, dieu de Perse, à son enfant Alexandre, salut. Il me semble Alexandre que tu te sois fâché de ma première lettre dans laquelle je t’écrivais de me servir. Aussi je t’envoie aujourd’hui un jouet, un petite poupée en bois que l’on fait tourner avec une baguette, pour que tu joues avec. Je t’envoies aussi deux coffrets vides et deux sacs de graine. Les coffrets, remplis-les avec les impôts de trois années, et les graines contenues dans les sacs, dénombre-les si tu le peux et tu sauras combien j’ai de soldats. Je te pardonne pour cette fois, mais si tu ne veux pas te retrouver devant moi, prisonnier, veille bien à m’envoyer les impôts et les soldats qui doivent servir dans mon armée, comme ton père le faisait. »
Clitéus remit la lettre à Alexandre et se prosterna devant lui. Il lui remit aussi les coffrets, les graines et la poupée. Alexandre lut la lettre et, cependant qu’il la lisait, hocha la tête et dit : « L’insensé, l’orgueilleux Darius, tout dieu qu’il se nomme lui-même, tombera comme un simple mortel. Pour s’être élevé jusqu’au ciel, il chutera ensuite jusqu’au fond de l’Hadès. » Il brisa les coffrets, mâcha les graines, puis répondit à Darius :
« Le roi des Macédoniens, Alexandre, à Darius, roi des Perses, salut. Tu m’as fait grand honneur et grande considération en m’envoyant cette poupée comme jouet. Tu te gonfles d’orgueil et c’est pourquoi tu tomberas de très haut. C’est un bon jouet que tu m’as adressé, à ce qu’il semble, car un jour je ferai tourner l’univers comme je fais tourner cette poupée. Sache aussi que j’ai mâché les graines, qu’ensuite je les ai recrachées et qu’ainsi je réduirai en miettes ton armée, avec la volonté du Ciel et du Seigneur Sabaoth. J’ai reçu les coffrets comme un cadeau précieux à l’image des forteresses que je prendrai. Limite-toi donc au Levant et au pays des Perses et renonce, une fois pour toutes, au Ponant. »
Il remit la lettre à Clitéus et le renvoya en Perse avec un boisseau de poivre, en guise de présent pour Darius. Avant son départ, Alexandre lui dit : « Tu as vu par toi-même comment j’ai mâché les graines et comment je les ai recrachées. Que Darius compte les grains d’une cosse de ce poivre : j’ai autant de soldats. »
Clitéus retourne chez Darius.
Cette correspondance entre Alexandre et Darius est entièrement imaginaire. Ce Clitéus, « bien-aimé de Darius » était en réalité le bien-aimé et le favori d’Alexandre. Il s’agit de Kleitos, un Noir qui servit comme officier sous le règne de Philippe et commandait un escadron nommé « L’Île royale ». Il suivit Alexandre dans toutes ses campagnes et lui sauva même la vie à la bataille du Granique. Des années plus tard, au cour d’un banquet à Samarcande, Alexandre le poignarda dans un moment d’ivresse.