L’u­ni­vers des formes

Apprendre l’art nĂ©ces­site plus que des des­crip­tions. Son his­toire est pĂ©trie de toutes les diver­si­tĂ©s des peuples du monde et de mys­tères qui res­te­ront peut-ĂŞtre Ă  jamais scel­lĂ©s der­rière le mor­tier des temples les plus anciens, et c’est pré­ci­sé­ment cela qui le rend attrayant. Tou­te­fois, apprendre l’art sans le voir, c’est un peu comme res­ter au pied de la pyra­mide et ne pas pou­voir y entrer, une incroyable frus­tra­tion, ça a besoin de texte mais aus­si d’i­mages, de repro­duc­tions qu’on ido­lâtre comme de saintes icĂ´nes parce que l’i­so­le­ment dans les musĂ©es, leur Ă©loi­gne­ment et par­fois mĂŞme l’i­so­le­ment dans des caves Ă  l’a­bri de l’hu­mi­di­tĂ©, de la lumière et des yeux mal­veillants du public, tout ceci nous rend le tĂ©moi­gnage du pas­sĂ© peu ver­beux. Mal­raux avait cette vision des choses :

« Il appar­tient Ă  l’his­toire de don­ner aux Ĺ“uvres toute leur part du pas­sĂ©, mais il appar­tient Ă  cer­taines images d’en rĂ©vé­ler l’é­nig­ma­tique part de pré­sent, sans laquelle l’his­toire de l’art devien­drait sĹ“ur de celle du cos­tume ou de l’ameublement. Â»

AndrĂ© Mal­raux, L’U­ni­vers des formes, Gal­li­mard, 1960

Pour illus­trer cette his­toire, il a vou­lu une immense fresque de la plus belle his­toire de notre huma­ni­té, qui se tra­duit aujourd’­hui par une col­lec­tion unique au monde, L’u­ni­vers des formes, édi­tée par Gal­li­mard en 42 volumes, ven­due à ce jour à plus de 800 000 exemplaires.

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Le ser­mon du Hodja

Nasr Eddin Hod­ja est un per­son­nage mythique de la culture musul­mane, dont les innom­brables aven­tures qu’on lui prête ont été tra­duites, voire écrites dans des dizaines de langues. Ayant rare­ment des ver­tus morales, ses his­to­riettes sont la plu­part du temps drôles, voire coquines. Le Hod­ja est asso­cié à la ville turque de Akşe­hir, où il a sa tombe, répu­tée n’être qu’un canular.

MosaĂŻques

Nasr Eddin, un jour, est de pas­sage dans une petite ville dont l’i­mam vient de mou­rir. Les habi­tants, pre­nant le voya­geur pour un saint homme, lui demandent de pro­non­cer le ser­mon du ven­dre­di. Il monte en chaire et inter­pelle la nom­breuse assistance :
— Chers frères, savez-vous de quoi je vais vous parler ?
— Non, non, font les fidèles, nous ne le savons pas.
— Com­ment ? s’é­crie Nasr Eddin en colère, vous ne savez pas de quoi je vais vous par­ler dans ce lieu consa­cré à la prière ! Je n’ai rien à faire avec de tels mécréants.
Et le voi­là qui des­cend de la chaire et quitte la mosquée.
Impres­sion­nĂ©es par cette sor­tie qui les confirme dans leur convic­tion que l’homme est d’une grande pié­tĂ©, les gens s’empressent d’al­ler rat­tra­per le Hod­ja et le sup­plient de reve­nir prê­cher. Il remonte alors en chaire :
— Chers frères, vous savez peut-ĂŞtre Ă  pré­sent de quoi je vais vous parler ?
— Oui, oui, rĂ©pondent en chĹ“ur les fidèles, nous le savons !
— Fils de chiens ! tonne Nasr Eddin. Par deux fois, vous m’im­por­tu­nez pour que je prenne la parole, et vous pré­ten­dez savoir ce que je vais dire !
Il quitte alors de nou­veau les lieux, lais­sant der­rière lui l’as­sem­blĂ©e stu­pé­faite : que faut-il donc rĂ©pondre pour qu’un tel saint accepte de rĂ©pandre ses lumières ?
Une des per­sonnes de l’as­sis­tance pro­pose que si la ques­tion est encore posĂ©e, les uns crient : « Oui, oui, nous le savons ! », et les autres : « Non, non, nous ne le savons pas ! » L’i­dĂ©e est rete­nue, et l’on court cher­cher le Hod­ja, qui monte en chaire pour la troi­sième fois :
— Chers frères, savez-vous enfin de quoi je vais vous parler ?
— Oui, oui, rĂ©pondent cer­tains, nous le savons !
— Non, non, crient d’autres, nous ne le savons pas !
— A la bonne heure, conclut Nasr Eddin. Dans ces condi­tions, que ceux qui savent le disent aux autres.

Sublimes paroles et idio­ties de Nasr Eddin Hod­ja,
trad. J.-L. Mau­nou­ry, Phé­bus Libret­to, 1990

Je dĂ©die ce billet Ă  mon grand-père, qui, j’en suis cer­tain, l’au­rait beau­coup fait rire.

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