Sep 20, 2009 | Sur les portulans |
C’est une petite ville comme ça posée sur une plage au bord de la France, dans l’hiver sombre d’un automne fatigué. C’est une petite ville à la splendeur passée où l’on sent le flottement d’une certaine noblesse décatie, et qui, dans un intervalle de temps révolu a dû connaître la désertion, l’abandon, période désormais terminée.
Cabourg, c’est une longue promenade sur des briques posées en quinconce, les planches, c’est bon pour Deauville et ses cabines de bain. Un peu plus loin c’est Trouville, avec son drôle de nom et ses petites rues discrètes, l’hôtel Saint-James, Rue de la Plage, avec ses dessus de lit brodés et ses baignoires aux pieds de lion. Au bout de la Rue des Bains, Houlgate et son mini-golf sur lequel je lorgnais depuis les larges baies vitrées de la location.
Cabourg c’est une ville un peu désuète mais qui a le charme et le caractère de ces endroits qu’on aime à tous les coups, sans réellement savoir pourquoi. La café Hastings, les jardins du Casino, la promenade Marcel Proust évidemment et le Grand Hôtel de Balbec.
Avant tout, ce que j’ai en moi de Cabourg, ce n’est même pas Cabourg, mais le long de ces plages immenses au sable fin, battues par l’eau froide de la Manche un peu plus vers l’ouest, au bout de la rue Malhène, et face à Brighton, la petite plage du Home ; un nom anglais au bord de la Normandie, le souvenir des soirées passées à arpenter le chemin où l’on sent l’odeur des plantes des dunes et surtout la plage à perte de vue vers le Havre, la baie de Seine et le Cotentin.
La douceur de vivre, les années douces, Marcel Proust dans son ensemble assis sur le bord de l’étagère me regarde effrontément, je te lorgne mon petit avec ta moustache tombante et tes joues roses.
Laissez-moi retourner à Cabourg et lire Proust n’importe où.
Photo © Ol.v!er [H2vPk] et Mateoone
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Sep 18, 2009 | Livres et carnets |
La lune, les USA, la mission Apollo, les astronautes, l’espace ; autant de sujets auxquels je ne me suis jamais de près ou de loin intéressé. Pourtant cet été, à la librairie des Pertuis, mon œil a été attiré par un couverture pour le moins originale, et sans le savoir, j’allais verser dans une aventure qui me dépasse complètement et qui eut lieu cinq ans avant que je ne vienne au monde. J’ai découvert le livre de Johan Harstad, Buzz Aldrin, où es-tu donc passé ? et attiré par le petit personnage en pâte à modeler, j’ai poursuivi en lisant la quatrième de couv’ et j’ai fini par acheter le livre.
Quelques jours plus tard, à la librairie Gwalarn — mes vacances ressemblent finalement à une pèlerinage dans les librairies de France —, je tombe sur un livre de Norman Mailer, le chant du bourreau, plus de 1100 pages, un pavé énorme, peu digeste tandis que le soleil resplendit dehors. Je le repose et trouve un peu plus loin un autre livre de Mailer, Bivouac sur la lune, je lis la quatrième de couv’ et je suis conquis. J’achète le livre. Ce n’est qu’une fois chez moi que je comprends pourquoi les deux couvertures m’ont titillées.
Pourquoi deux maisons d’édition ont-elles utilisé la même image (à peu de choses près) ? Un mystère aussi profond pour moi que ceux de la lune. Alors je me plonge dans le livre de Mailer, auteur mythique dont j’ai souvent confondu le nom avec celui de Henry Miller, et d’Arthur Miller aussi, et que je m’étais promis de lire un jour. Je découvre tout, le Capcom, Houston, Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins (je ne connaissais même pas ce nom), Apollo XI (il y a en a eu d’autres avant, mais d’autres après également), Saturn V, le LM…
Je découvre des univers, un passé pas si lointain, 40 ans derrière et j’exulte face à l’écriture que je qualifierais de volcanique de Mailer ; riche, abondante, colorée, chaleureuse. Devant mon ignorance, je cherche à savoir à quoi ressemblent les deux hommes qui ont marché sur la lune et le troisième homme, celui dont on dira « la personne la plus solitaire sur et en dehors de la planète » — quand le module de commande volait au-dessus de la face opposée de la Lune, il était à au moins 3 200 kilomètres de ses collègues astronautes, et à plus de 350 000 kilomètres du reste de la population terrestre. (Wikipedia) Je trouve ces deux photographies.
En combinaison spatiale légère (la version lourde pèse 82 kg), les trois hommes ont chacun une expression différente et sur ce cliché comme sur l’autre, Armstrong (le Armstrong, le commandant de l’équipe) a l’air parfaitement abruti (c’est mon ressenti immédiat), un bon gars du Middle West, gentil, mais pas très finaud. Aldrin, lui, c’est l’effacement, la chambre stérile, rien ne passe, rien ne transpire. Collins, lui, est debout. Pourtant, c’est le troisième homme, on le croirait le plus important de la mission, il tient son casque à deux mains et a l’air pénétré, sincère. C’est ma première opinion.
Même photo, pas de casques, les mains pendant mollement sur les cuisses comme d’encombrants appendices, je trouve ça fascinant. Collins, lui, sait poser avec ces mains, qu’il a jointes. Armstrong me fait penser à un crapaud. Le regard d’Aldrin a dévié de quelques degrés, sinon c’est le même.
Immédiatement, je me prends d’affection pour Collins qui m’a l’air d’être un type sympa. Je fais bien, je suis parti pour les suivre pendant plus de 600 pages. Sur cette photo encore, on voit les trois hommes encadrant l’autre abruti. Collins à gauche, W., Armstrong puis Aldrin (chirurgie esthétique ?). Collins n’est plus au milieu, forcément, mais à gauche et même là, c’est lui qui a la silhouette la plus harmonieuse, le costume le mieux taillé, le plus beau maintien et comme par un fait du hasard, il est nimbé d’un halo de lumière provenant de la fenêtre derrière lui. Je reviendrai sur l’œuvre elle-même, mais à présent, je m’intéresse à Collins, dont le destin aura été quelque peu frustrant.
Ça ne devait pas être facile d’avoir attendu si longtemps pour si peu. Mais Collins réagit en souriant et dit : « Ma femme et mes enfants ont signé une déclaration d’après laquelle ils ne sont pas porteurs de germes et… en effet ce sera le dernier week-end que nous passerons chez nous avec nos familles. » Ce n’était pas une plaisanterie à se rouler par terre, mais la conférence de presse n’avait guère été amusante non plus et on vit les visages s’éclairer parmi les journalistes, ils se mirent à rire. Collins, prompt à ne pas vexer l’homme qui avait posé la question, ajouta alors : « Sérieusement, on ne prend aucune précaution particulière.»
Il s’exprimait avec aisance. On sentait parfaitement que des trois, c’était le seul avec qui on pouvait prendre un verre agréablement. Comme la possibilité de prendre un verre avec le sujet de votre reportage est tout aussi important pour un journaliste que le poids de son marteau pour un charpentier, un sentiment de consternation traversa les journalistes rassemblés : pourquoi la NASA n’avait-elle pas eu suffisamment le sens des relations publiques pour en charger Collins ? Quelle joie ç’aurait été de couvrir cet alunissage avec un homme qui donne des chiffres précis, au lieu d’être obligé d’avoir à faire à Armstrong qui lâchait des mots à peu près aussi volontiers qu’un limier se laisse arracher un quartier de viande d’entre les dents. Collins aurait été parfait. Outre son air, son aisance évidente en face d’un martini, il avait la sveltesse, le front chauve et les traits sans complication d’un boxeur de collège, d’un joueur de base-ball ou d’un demi de mêlée. […] Le regarder, l’entendre, c’était déjà de la copie, et Armstrong avait l’air triste et esseulé d’un coureur de cross-country. Bien sûr, puisqu’il avait également l’air furtif et réservé d’un homme dont, peut-être, on ne lira jamais les pensées — quelle bénédiction pour la presse ! — on pouvait, si on se représentait Armstrong comme un athlète, l’imaginer jouer troisième ligne. Il pourrait ainsi, avec son maintien furtif et réservé, être difficile à suivre dans les passes.
L’intérêt de l’histoire cependant résidait dans les deux hommes qui allaient se poser sur la Lune — il ne pouvait résider nulle part ailleurs — mais comme Collins avec quelques sourires et une remarque ou deux était devenu le favori de la presse,vers la fin de l’interview on lui posa une question, puis une autre. Enfin la vraie question arriva.
« Colonel Collins, pour des gens qui ne sont pas des astronautes, vous semblez avoir la tâche la plus ingrate de toute la mission en n’allant pas jusqu’au bout. Qu’est ce que vous en pensez ? » La contradiction implicite dans le fait d’être un astronaute était précisément là, comme piquée sur une brochette. S’ils étaient des astronautes, ils étaient des hommes qui travaillaient pour l’équipe, mais aucun homme ne devenait astronaute s’il n’était pas assez exceptionnel pour nourrir parfois le soupçon qu’il pourrait bien être le meilleur de tous. Personne ne gagne au handball s’il n’est déterminé à l’emporter.
Mailer décrit Armstrong comme un type très intelligent, dont la vie est toute entière tournée vers le vol, mais aussi gai que la surface aluminisée d’un casque lunaire. Aldrin, lui, c’est le cérébral, l’homme-machine, le rationaliste, la calculatrice de poche encombrante, presbytérien, mystique, obscur, contradictoire et sans grande fantaisie. Michael Collins lui, apparait comme le type sympa qui balance quelques bons mots dans les conférence de presse chiantes comme la pluie, pendant lesquelles Armstrong est monopolisé par les questions, dont les réponses sont entrecoupées de silences astronomiques et de parasites comme au milieu d’une conversation avec Capcom.
Mailer nous présente Collins comme l’homme fort de la mission, derrière l’ingratitude de sa position.
Mais c’est Collins qui s’est chargé des trois quarts des communications avec la Terre. Le module de commande c’était son fief. S’il ne devait pas se poser sur la Lune, c’était quand même lui qui pilotait le module. Alors qu’Armstrong était le commandant et techniquement son supérieur, il avait exercé très discrètement son autorité. C’était Collins qui avait assuré le contact avec le Capcom, Collins qui faisait les plaisanteries, échangeait les reparties, manifestait son inquiétude à propos de l’équipement, réclamait de nouveaux changements, proposait des comparaisons pour ce qui touchait au ménage d’Apollo XI, faisait des commentaires sur la qualité de la nourriture et se préoccupait de chaque détail. Il était comme un acteur qui a toutes les premières scènes de la pièce et qui pourtant est condamné dans son rôle, car il n’est pas dans les grandes scènes à venir et elles seront si grandes que ses scènes à lui seront nécessairement noyées dans leur sillage : un acteur ambitieux dans de telles circonstances travaille plus dur, comme si les émotions accumulées par sa présence risquaient de faire intrusion dans les résultats.
Mais Armstrong était resté pratiquement muet. Bien décrit par la presse qui soulignait ses silences, son air esseulé, son désir d’avoir la paix, Armstrong donnait l’impression d’attirer le silence autour de lui, même dans le module de commande, où il regardait par son hublot durant des heures, ou pendant les minutes qui allaient faire des heures dans les pauses entre les diverses corvées du long voyage vers la Lune.
Cette photo rétablit un peu tout ce que j’ai pu dire sur les trois hommes, lisse leur visage, et leur réputation… Pour l’anecdote, c’est Michael Collins qui a dessiné le logo de la mission.
Mailer, qui était ingénieur en aéronautique a réussi le pari de me passionner pour un sujet qui en apparence n’avait vraiment rien de séduisant pour moi. Et pourtant, je me suis retrouvé complètement immergé dans cette folle équipée, qu’elle soit un mythe ou non ; la démesure des moyens suffit à elle seule à captiver.
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Sep 13, 2009 | Arts, Photo |
Les photos de Nadav Kander sont un réel choc ; pas tant par sa technique mais par les histoires qu’il raconte. A contre-courant d’un Stephen Shore ou de l’Ecole de Düsseldorf que l’on peut parfois considérer comme des paysagistes (sans connotation négative), Kander parle de paysages au cœur duquel vivent les hommes et dans lesquels on les voit habiter les lieux, même si ce qui est représenté est à l’orée de l’ère post-industrielle, forcément déshumanisant.
Notamment dans sa série Yangtze, on a l’impression d’une Chine qui vend son âme sur l’autel de la technologie, du gigantisme et de l’industrialisation, des paysages de solitude dans lesquels malgré les cadrages larges, on y trouve des humains à l’étroit, ou mal placées.
God’s country est une série énigmatique et étrange, qui parle du désert américain et de sa solitude encore une fois.
Il y a toujours plus ou moins quelqu’un dans ses photographies, mais loin d’être un souhait d’animation de ces images, c’est toujours pour rappeler — car même lorsqu’il n’y a personne, la présence humaine est évoquée — que ce sont histoires de gens que racontent les lieux de désertion.
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